Après avoir conduit le Congrès national africain (ANC) à sa sixième victoire électorale d’affilée depuis 1994, le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, fait face à son premier défi postélectoral, à savoir la formation d’un gouvernement au milieu de fortes divisions au sein de la formation au pouvoir.

Fort de son nouveau mandat politique de cinq ans, Ramaphosa, également chef de l’ANC, avait clairement exprimé sa détermination de former un gouvernement capable de s’attaquer avec courage aux épineux dossiers, notamment celui de la corruption.

Depuis son élection à la tête du parti de l’icône Nelson Mandela en décembre 2017, Ramaphosa n’a eu de cesse de souligner que la lutte contre la corruption sera au cœur de son action pour remettre le pays sur les rails d’une croissance durable et inclusive.

Il a, à cet effet, mis en place une commission d’enquête qui devra remettre dans les mois qui viennent ses conclusions au sujet d’un phénomène qui s’est ancré dans le pays, portant atteinte à son image auprès des investisseurs et des partenaires internationaux.

«La capture de l’Etat», qui fait allusion à cette corruption qui a atteint les plus hauts sommets de l’Etat et du parti, s’est aggravée sous l’ancien président Jacob Zuma, dont les neuf années au pouvoir (2008/2019) sont désormais taxées de «décennie noire» de l’avis même de Ramaphosa.

Ce dernier, dont l’investiture est attendue samedi, veut mettre en place un cabinet ne dépassant pas les 30 départements. Il veut surtout installer des personnalités «aux mains propres» et capables de mettre en œuvre son agenda de réformes.

Lors des élections générales du 8 mai, l’ANC a remporté une majorité de 57,5 pc des sièges, soit le score le plus faible jamais réalisé par cet ancien mouvement de libération depuis les premières élections multiraciales tenues dans le pays arc en ciel en 1994, peu après la fin de l’apartheid.

Ce score témoigne, selon les observateurs, d’une désaffection qui se généralise parmi la base électorale de l’ANC, en particulier en raison de la corruption et les échecs de favoriser l’émergence d’une Afrique du Sud véritablement égalitaire.

Dans le cadre de sa croisade contre la corruption, Ramaphosa, un ancien syndicaliste converti en homme d’affaires, avait déjà limogé des ministres soupçonnés de corruption peu après sa prise du pouvoir en février 2018. D’autres plus puissants ont conservé leurs postes au sein du gouvernement et des instances dirigeantes de l’ANC.

«Si Ramaphosa dispose d’une plate-forme pour agir contre ces poches de résistance, c’est maintenant qu’il doit passer à l’action, ou jamais», indique Susan Booysen, directrice de la recherche à l’Institut Mapungubwe pour la réflexion stratégique (basée à Johannesburg).

«S’il ne saisit pas cette occasion, il va la perdre pour de bon», a souligné la chercheuse dans une analyse.

Selon les lois sud-africaines, le chef d’Etat doit choisir les membres de son gouvernement parmi les membres élus de l’Assemblée nationale. Il a, cependant, la possibilité de désigner deux ministres de l’extérieur de l’Assemblée.

Ceci signifie, selon les analystes, que certains membres influents de l’ANC devront conserver leurs postes dans le futur exécutif.

Les yeux de la communauté d’affaires sont donc rivés sur ce gouvernement, qui sera appelé à trouver les réponses efficaces au ralentissement économique qui dure depuis 2013. Depuis cette date, l’économie sud-africaine, l’une des plus avancées du continent africain, n’a pas fait mieux qu’un taux de croissance annuel de 1,5 pc.

En 2018, ce taux a été de l’ordre de 0,8 pc au moment où les prévisions pour 2019 n’écartent pas une éventuelle récession en raison d’une crise de l’électricité qui sape la confiance des investisseurs.

Cette croissance molle ne sert point les intérêts d’un pays où le chômage a grimpé à 27,6 pc de la population active au début de 2019. Des estimations indépendantes estiment que le chômage touche plus de 50 pc des jeunes dans les zones défavorisées où vit la majorité noire.

Sur le plan de la politique étrangère, la presse rapporte de graves divergences au sein de l’ANC au sujet du changement de l’actuelle ministre des Relations internationales et de la Coopération, Lidiwe Sisulu.

L’influent journal The Daily Maverick rapporte que ce portefeuille stratégique est au cœur de la guerre des clans au sein du parti au pouvoir.

Le président Ramaphosa reproche à l’actuelle cheffe de la diplomatie de compliquer les relations qu’il tente de tisser avec des pays notamment du continent africain comme le Rwanda, indique le journal, relevant que Baleka Mbete, présidente du parlement sortant, est pressentie avec force pour le poste.

Au-delà de la formation du nouveau gouvernement, la guerre des clans promet de s’intensifier au sein de l’ANC, une situation que d’aucuns craignent voir enfoncer davantage le pays dans l’incertitude et repousser tout espoir d’une sortie de crise imminente.