Benoît LEBOT, Directeur Exécutif de l’IPEEC, Partenariat International pour la Coopération sur l’Efficacité Energétique

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    Infomediaire :  Selon vous, en quoi l’efficacité énergétique est-elle fondamentale pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris (COP21) ?
     
    Benoît LEBOT : L’Accord de Paris constitue une formidable avancée dans la lutte contre le changement climatique. Pour la première fois dans l’histoire de la Convention Cadre des Nations Unies contre le changement climatique, tous les pays du monde s’engagent à contrôler les émissions de gaz à effet de serre pour limiter le réchauffement moyen en dessous de 2°C d’ici à la fin du siècle. Inévitablement cet engagement impose que le développement économique et humain s’engage dans une dé-carbonisation, c’est-à-dire dans une réduction massive des gaz à effet de serre. Le secteur de l’énergie, largement dominé dans le monde par les énergies d’origine fossile (charbon, pétrole, gaz), représente environ 60% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Réduire les émissions du secteur énergétique est tout à fait possible et repose sur trois piliers : le premier, est de moins ou mieux consommé l’énergie. C’est ce qu’on appelle l’efficacité énergétique. Le second, est de recourir aux formes d’énergies renouvelables telles que l’éolien, le solaire, la biomasse durable, l’hydraulique ou la géothermie. Enfin le troisième, consiste à mettre en place des techniques pour capter les émissions de gaz à effet de serre (CO2) et de les stocker. Ce dernier pilier est encore largement expérimental et s’il est un jour disponible, il s’avèrera couteux. Le recours aux énergies renouvelables est en bonne voie, notamment grâce à la remarquable baisse des coûts de l’énergie éolienne et solaire. Il faut encore poursuivre et amplifier les efforts dans toutes les économies.
     
    Ceci étant dit, toutes les études montrent, et notamment celles de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), que la plus importante source de réduction de gaz à effet de serre dans le secteur de l’énergie, réside dans l’efficacité énergétique, c’est-à-dire en rendant chaque système que nous utilisons moins consommateur d’énergie : une infrastructure, un bâtiment, une usine, un équipement. Les estimations indiquent que plus de la moitié des réductions possibles de gaz à effet de serre dans le secteur de l’énergie seront constituées des techniques et des pratiques économes en énergie. Elles sont nombreuses, déjà disponibles et très souvent financièrement attractives car rentables. Les éventuels surcoûts sont toujours compensés par les économies sur les factures.L’efficacité énergétique présente par ailleurs de très nombreux avantages : en cessant de gaspiller l’énergie, les industries sont plus productives, les transports moins polluants participent à une meilleure santé des habitants de villes. Dans le secteur du bâtiment, les économies d’énergie génèrent un meilleur confort pour les usagers. La mise en place des technologies d’efficacité énergétique contribue à la création d’emplois locaux, non dé-localisables, durables dans le temps. Les exemples sont nombreux.
     
    L’efficacité énergétique est donc incontournable dans toute politique et dans tout programme de réduction des gaz à effet de serre. L’accord de Paris implique que l’efficacité énergétique devienne un secteur d’investissement et d’activité majeur dans les décennies à venir.
     
    Infomediaire :  Au regard de ces arguments aussi favorables aux économies d’énergie, est-il nécessaire d’intervenir ?
     
    Benoît LEBOT : Les avantages de l’efficacité énergétique sont malheureusement encore trop peu connus. Les plus anciennes politiques de maîtrise de l’énergie remontent à une trentaine d’années et sont associées aux premières crises énergétiques qui ont perturbés les économies notamment à deux reprises en 1973 et 1979. Elles sont donc relativement récentes. Pourtant, dans les pays qui ont mis en place des programmes dans le secteur du bâtiment, de l’industrie, des transports, les économies d’énergie ont permis d’éviter d’énormes investissements du côté de la production d’énergie. Il est estimé que dans plusieurs pays Européens où les autorités nationales ont mis en place des réglementations thermiques pour les bâtiments, des obligations d’audits pour les industries, des normes de performance et des systèmes d’étiquetage informatif sur les appareils et équipements ;les économies d’énergie générées sont au total supérieures aux productions d’énergie issues du pétrole, du gaz ou du charbon.
     
    Cependant, si elle n’est pas stimulée, encadrée, rendue visible, l’efficacité énergétique n’a rien de spontané. Elle est souvent invisible, répartie sur une grande palette d’usages, granulaire, formée d’une addition de nombreux facteurs, dépendante de multiples intervenants. L’un des grands obstacles à l’efficacité énergétique est le manque de connaissance des enjeux, typiquement des données sur les consommations par usage. Quelle priorité donner si on ne sait pas où, quand, en quelle quantité l’énergie est dépensée ? Dans un foyer, comment savoir où il est possible de réduire sa consommation d’énergie ? Au sein d’une entreprise, quelle est la machine ou l’instrument qui consomme le plus et où il est possible de réduire la consommation ?
     
    La maîtrise de l’énergie exige une expertise très particulière qu’il faut constituer, former, accompagner. Un savoir-faire qui doit déboucher sur la mise en route d’un cadre institutionnel dédié, c’est-à-dire un nombre d’instruments spécifiques tels que des normes, des labélisations, des certifications, des procédures de contrôle. Les forces du marché peuvent servir l’efficacité énergétique, mais pour y parvenir il est indispensable de mettre en place des signaux spécifiques, de garde-fous, des incitations.
     
    L’enjeu de l’accord de Paris implique que l’efficacité énergétique devienne systématique et universelle, qu’elle s’applique progressivement dans tous les usages, dans tous les secteurs, dans tous les pays. C’est un formidable chantier qui demande des moyens et sur le long terme. Car il faut du temps pour mettre en place les capacités humaines et techniques et transformer les marchés pour les orienter définitivement vers les techniques économes en énergie. Alors que les investissements dans les politiques d’efficacité énergétique sont à terme particulièrement rentables. La réalité du changement climatique impose qu’ils soient désormais à hauteur de l’indispensable dé-carbonisation des économies.  
     
    Infomediaire :  Quelle est le rôle d’un organisme tel que celui que vous dirigez aujourd’hui, le Partenariat International pour la Coopération et l’Efficacité Energétique (IPEEC) ?
     
     
    Benoît LEBOT : L’IPEEC est un partenariat autonome de nations, fondé en 2009 par le G8 pour promouvoir la collaboration sur l’efficacité énergétique. Il s’agissait de répondre à un besoin ressenti profondément par les états : dans les politiques de l’énergie, la part de l’efficacité énergétique a besoin d’être renforcée. L’IPEEC est aujourd’hui une collaboration entre les gouvernements tous issus du G20, le groupe des plus grosses économies mondiales. Les membres de l’IPEEC représentent plus de 70% des émissions de gaz à effet de serre.
     
    Avec l’IPEEC, les pays échangent leurs expériences, leurs pratiques en matière de politique d’efficacité énergétique. Ils décident de mettre en commun leur savoir-faire, voire de travailler ensemble sur un chantier commun, par exemple : comment mobiliser la finance internationale à reconnaitre l’importance de l’efficacité énergétique, afin de mieux canaliser les investissements vers les solutions d’efficacité énergétique plutôt que vers la production d’énergie.
     
    Depuis 2014, l’IPEEC est sous mandat direct du G20 dans le cadre d’un plan d’action spécifique consacré à l’efficacité énergétique. L’IPEEC aide à constituer des groupes de travail thématiques, par exemple sur le bâtiment, les véhicules, les équipements, sur les meilleures techniques de collecte de données, sur les systèmes de gestion intelligente de l’énergie, etc… La collaboration du G20 sur l’efficacité énergétique a été renforcée cette année sous la présidence de la Chine, ouvrant la coopération sur un horizon de moyen terme (2030). L’IPEEC coordonne les activités entre les gouvernements et en étroite collaboration avec de nombreuses organisations internationales du secteur de l’énergie mais également engagées dans le développement économique ou la protection de l’environnement. 
     
    La COP22 donne l’occasion à l’IPEEC et ses partenaires de mettre en avant l’importance de l’efficacité énergétique dans la lutte contre l’effet de serre. L’IPEEC a collaboré activement avec l’éditeur Marocain AOB pour préparer un magazine entièrement dédié à l’efficacité énergétique et qui sera largement diffusé tout à au long de la conférence. L’IPEEC participera à plusieurs conférences et des side-events. Le jeudi 10 novembre à 19h en salle 7 dans la zone verte, le groupe de travail IPEEC-G20 « Finance et Efficacité Energétique » présentera ses travaux et recommandations. Le samedi 12 novembre à 13h en salle 2 dans le zone verte, l’IPEEC présentera avec plusieurs de ses partenaires, le statut des collaborations actuelles dans le cadre du G20. Deux évènements qui illustreront de façon concrète les bénéfices de la collaboration internationale sur l’efficacité énergétique.