M. Saad Hammoud

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    Infomediaire  : Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?



    Saad Hammoud :  35 ans, marié, 3 petites filles. J’ai grandi à Meknès puis j’ai quitté le Maroc pour faire ma prépa Sup/Spé au lycée Sainte Geneviève à Versailles avant d’intégrer Centrale Paris. Une fois diplômé, j’ai hésité entre le conseil en stratégie et le trading mais en gardant toujours en tête la même ligne directrice : réussir vite en travaillant dans un environnement purement méritocratique. J’ai finalement choisi la deuxième option et j’ai débuté dans la finance en 1999 en tant que trader de dérivés actions au Crédit Lyonnais à Paris puis j’ai été muté à Londres en 2001 où je me suis occupé du trading d’obligations convertibles. Je rejoins ensuite Lehman Brothers en 2005 où je suis en charge du trading pour comptes propres Actions/Dérivés actions couvrant la région Europe. Après la faillite de Lehman en septembre 2008 et le rachat par Nomura des activités de marchés européennes et asiatiques, je me suis efforcé de reconstruire la franchise de flux dérivés à travers un trading intelligent et agressif au service du client.

    Infomediaire : Comment avez-vous vécu la transition Lehman/Nomura ?

    Saad Hammoud : La faillite de Lehman Brothers a été une période difficile, de doute et de remise en question. Nous n’avions rien à voir avec les causes de cette faillite – simplement liée aux risques démesurés que prenait la firme dans l’immobilier américain – mais nous en avons payé le prix fort en tant qu’actionnaires, employés et membres d’une même famille trahie par son management. Les Japonais sont moins arrogants et très respectueux. C’est donc avec une grande volonté et beaucoup de passion que nous avons remonté la pente.

    Infomediaire : Et la crise (financière internationale) alors ?  En sommes-nous complètement sortis ?

    Saad Hammoud : Non. Nous sommes en plein dedans. La crise financière de 2008 résulte de l’explosion de la bulle du leverage (effet de levier). Depuis une quinzaine d’années, les pays occidentaux ont financé leur croissance par  la dette. Dette des consommateurs avec des crédits à la consommation et des crédits immobiliers trop avantageux ; dette des états avec des déficits budgétaires grandissants et dont le nominal ne fait que croitre. La finance de marchés a permis de titriser ces dettes et de les recycler grâce à des produits vendus à travers le monde. Mais les Etats, en volant au secours des banques en 2008-2009, sont aujourd’hui surendettés et se doivent d’implémenter des mesures d’austérité qui rendront la croissance encore plus difficile. Cette dette ne sera remboursée qu’au prix d’efforts nationaux gigantesques qui s’accompagneront de tensions sociales et de frictions internationales. Le plus inquiétant, c’est que cette crise concerne simultanément grand nombre de pays. Quand, dans le passé, il s’agissait de pays isolés, ce n’était pas bien grave. Quand c’est la majorité des pays industrialisés qui est touchée, comme c’est le cas aujourd’hui, la situation est beaucoup plus délicate… Il faudra beaucoup de temps!

    Infomediaire : Quelle place tient la City aujourd’hui dans la finance mondiale?

    Saad Hammoud :  La Chine et d’autres pays, comme le Brésil et la Russie, émergent. Hong-Kong et/ou Singapour  deviendront très certainement de grosses places financières. Néanmoins, Londres restera la plaque tournante du capitalisme international. Il est facile d’y faire des affaires – l’anglais est la langue universelle de travail et toutes les banques, les fonds spéculatifs et les sociétés de gestion d’actifs y sont historiquement implantés. Le seul risque est que le Royaume-Uni perde de sa compétitivité au niveau des taux d’imposition mais je pense que le gouvernement britannique est très pragmatique sur le sujet et saura maitriser cette menace.

    Infomediaire : Qu’en est-il des marocains à la City?

    Saad Hammoud :  Beaucoup y réussissent, gravissent les échelons et ont des carrières remarquables. Je pense que nous, marocains, avons un sens de l’adaptation, voire même un instinct de survie, assez développé, ce qui est primordial pour réussir dans la City. J’ai remarqué que les jeunes étudiants marocains qui cherchent à venir à Londres pour faire carrière en finance sont très travailleurs, parlent bien l’Anglais et savent énormément tirer avantage des bénéfices d’un réseau étendu. Ils apprennent très vite et ont un état d’esprit irréprochable, sérieux et persévérant. Mais les marocains à Londres ne sont pas tous des financiers. Je connais un excellent cuisinier de Tanger qui a un succès fou le samedi à Chelsea où il vend nos plats traditionnels. Je suis monté l’autre jour dans un bus et le chauffeur était de Casablanca!

    Infomediaire : Peut-on parler de communauté marocaine à Londres?

    Saad Hammoud : Dans la City, oui. Il y a beaucoup de traders marocains. On parle souvent de Mafia marocaine.

    Infomediaire : Les marocains gagneraient-ils à s’inspirer d’autres communautés, plutôt soudées (Liban par exemple) ?

    Saad Hammoud : Les Libanais sont effectivement très soudés, c’est lié à l’histoire de leur pays. Les marocains ont moins cet esprit mais ce n’est pas pour autant qu’il n’y a pas de solidarité entre nous. Aujourd’hui, quand je recrute un marocain, je suis sur qu’il saura s’adapter et qu’il évoluera plus vite qu’un autre. Ce bon état d’esprit me permet de recommander des marocains et de leur ouvrir les portes plus facilement.

    Infomediaire : Vous recommanderiez des étudiants de Grandes Ecoles ou Universités en particulier?

    Saad Hammoud : Pas de manière systématique. Il est certain qu’un bon diplôme vous ouvre des portes et peut vous aider à décrocher un premier entretien. Ensuite, ce n’est pas parce que vous avez fait une Grande Ecole que vous êtes forcément bon. Dans nos équipes, nous avons des diplômés d’histoire, un ancien pilote de chasse et un coureur automobile! Je crois beaucoup à la méritocratie et à l’absence de passe-droits. L’école n’est pas tout, elle est juste un gage qu’a priori on a la tête bien faite.

    Infomediaire : Avez-vous un conseil à donner aux jeunes qui veulent se lancer dans la finance ?

    Saad Hammoud : Il faut avoir du flair, suivre son feeling, c’est ce qui fait la différence dans un monde où l’information est instantanée et accessible à tous. Il faut être sérieux, travailleur et opportuniste. Toujours penser au prochain coup.

    Infomediaire : La finance est-elle un monde d’hommes comme on l’entend souvent?

    Saad Hammoud : Oui, pour le trading. Mais dans une salle de marchés, il y a d’autres métiers et je pense qu’on ne doit pas y être loin de la parité.

    Infomediaire : C’est parce-que le trading est un métier de loups?

    Saad Hammoud : Fausse image. L‘argent est souvent tabou dans nos sociétés ce qui laisse penser que les financiers sont des loups. Nous sommes ambitieux, travaillons dur, et faisons preuve de beaucoup d’imagination. Et oui nous voulons gagner de l’argent. Néanmoins, le milieu est très réglementé avec des organes de contrôle à la fois au sein des banques et à l’échelle des pays qui veillent au grain. Il y a des gens malhonnêtes dans tous les domaines, dans chaque société. Le problème, c’est que les sommes mises en jeu dans la finance sont tellement importantes que les conséquences sont parfois colossales. Kerviel, Madoff ou Nick Leason sont mondialement connus pour le montant de leur fraude. Pourtant, j’ai eu plus souvent à me méfier d’un plombier ou d’un garagiste – métiers très peu réglementés- que de mon banquier.

    Infomediaire : Qu’est-ce qui vous permet de vous protéger de cette folie qui a pu toucher un Kerviel?

    Saad Hammoud :  L’éducation que j’ai reçue me permet d’avoir du recul. Je ne pense pas à tricher et relativise dès que je rentre chez moi le soir.


    Infomediaire : Vous restez donc très lié au Maroc ?
     

    Saad Hammoud : Mes parents y vivent. C’est mon pays, ma culture, mon enfance…

    Infomediaire : Et que pensez-vous de l’évolution du pays ces dernières années ?

    Saad Hammoud :  Le Maroc avance, nul doute. Le problème c’est que les autres pays avancent vite et certains plus vite que nous. L’éducation est primordiale, c’est ce qui permet de réussir dans ce monde global. Aujourd’hui, paradoxalement, il est plus facile de combler son retard que du temps des colonies ou de la révolution industrielle. Le monde est ouvert et l’information accessible à tous. Il faut donc que nous saisissions cette chance et cela passe forcément par l’instruction.

    Infomediaire : Un retour au pays est-il envisageable ?

    Pourquoi pas un jour.

     

    Par Myriam B.