Noureddine Sail, Vice président délégué de la Fondation du Festival International du Film de Marrakech et directeur général du Centre Cinématographique Marocain

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    Infomédiaire : Comment pouvez-vous présenter le Festival de Marrakech ? Et comment s’est bâtie la renommée du Festival ?

    Noureddine Sail : La renommée du festival du film de Marrakech s’est construite avec le temps. Le festival a démarré dans des circonstances exceptionnelles, juste après le 11 septembre 2001, et le fait qu’il se soit tenu à l’époque est déjà une gageure extraordinaire.

    Depuis, le festival et les activités du festival ont connu un développement normal et à partir de 2005, le Festival a pris ses lettres de noblesse. En effet, de grands noms du cinéma international acceptent de venir parce qu’ils savent que c’est un festival important et qu'ils connaissent la qualité du festival, des prestations et des films.

    Au fur et à mesure, nous avons remarqué aussi une sorte de fédération autour du festival, ce qui lui donne de la crédibilité. Par ailleurs, aucun de nos invités n’est payé, à la différence de beaucoup d’autres festivals internationaux qui agrémentent les invitations avec de petits ou de gros cachets.

    A notre festival, les gens viennent pour la ville de Marrakech, pour la qualité de l’accueil, pour la qualité des films et pour l’ambiance autour du festival. Nous avons tous les ingrédients pour que le festival se développe tout à fait correctement.

    Maintenant que nous entamons la deuxième décennie du festival, l’essentiel à retenir c’est que le festival a trouvé le modèle aussi bien économique, qu’intellectuel, sur lequel le festival va maintenant non seulement se bâtir mais se développer. On peut donc résumer tout cela et dire que le festival a trouvé son bon rythme.

    Infomédiaire : Quelles ont été les particularités et les spécificités de cette 11ème édition du Festival de Marrakech ?

    Noureddine Sail : Le festival International du Film de Marrakech a mis ces quelques années de son activité à dégager un modèle qui fonctionne bien et perfectible. Cependant, on ne peut pas avoir un festival international de l’importance de Marrakech sans avoir quatre grandes constantes :

    – L’excellence des films de la compétition ;

    – Le très haut niveau du jury international ;

    – La qualité des hommages aux grandes personnalités du Cinéma ;

    – La qualité des hommages que nous accordons à des pays du cinéma.

    Par ailleurs, depuis l’année dernière, nous sommes aussi en contact avec des écoles du cinéma via la création du prix Cinécole, qui est une initiative de son Altesse Royale Le Prince Moulay Rachid. Tout cela s’adjoint à ces grands piliers qui constituent le festival International du Film de Marrakech.

    A partir de ce moment là, avec nos piliers constants et avec les idées nouvelles que nous avons ajouté et que nous ajoutons toujours, le festival a la double qualité d'avoir posé ses fondements et acquis et d'être en même temps dynamique.

    Cette année nous avons considéré que le festival a évolué, parallèlement à l’évolution du cinéma national. Entre 2001, 2002 et 2003, le Maroc produisait 3 films par an. Avec l’évolution du festival de Marrakech, le Maroc est arrivé à faire 20 films et au prochain festival du film de Tanger en Janvier, le Maroc va présenter entre 20 et 25 films. Cet accroissement quantitatif de la production marocaine a été accompagné par l’importance que le festival a acquis à l’échelle internationale.

    Lors de cette édition, nos deux principales nécessités étaient les suivantes : premièrement la nécessité pour le festival de Marrakech d’avoir une production marocaine forte et deuxièmement, la nécessité pour le festival international d’avoir un festival international de Marrakech fort, parce qu’il servira de vitrine et le cinéma national servira de capital de base et de fiction.

    En effet, pour cette édition, nous avons consacré tout le chapitre coup de cœur au cinéma marocain avec 4 films dans la diversité, avec un film d’auteur, un film qui se veut populaire, un film réaliste et un film qui tente une recherche dans le cinéma marocain.

    Nous voulions aussi montrer que le Maroc a des réalisateurs qui sont de personnalités très différentes et que le Maroc se fait fort de faire la synthèse de toute ses personnalités pour présenter une cinématographie.

    Par ailleurs, nous avons décidé de signaler la présence de la production marocaine à travers quelques choses de très simple: ouvrir le festival avec un film marocain de Narjiss Nejar et le clôturer avec un film marocain de Faouzi Bensaidi, ce qui va permettre de rehausser pour cette année la présence du cinéma marocain.

    Infomédiaire : Sous quels auspices s’est inscrit la 11ème édition du festival ?

    Noureddine Sail : Cette édition s’est inscrit dans le contexte actuel mondial et marocain. Nous entrons dans une phase nouvelle, les dernières élections législatives qu’a vécu le Maroc sont importantes, ainsi que le fait qu’il ait une nouvelle constitution.

    Le festival de Marrakech a accompagné depuis l’an 2000 l’évolution du pays et aujourd’hui nous allons passer d’une constitution à une autre, ce qui montre que le festival de Marrakech est la vitrine par excellence de tout ce qui se passe au Maroc.

    A Marrakech, il y a eu des centaines d’invités du monde entier, la presse, des chaines de télévisions, des acteurs, des réalisateurs, des producteurs etc… Il a été important pour eux de constater qu’à travers la simple créativité marocaine cinématographique, le pays est vivant et qu’à travers la présence et la qualité et des gens qui viennent de l’échelle internationale, le pays est accueillant.

    Avec ce festival, nous signalons finalement que le Maroc appartient vraiment au continent du cinéma. Le cinéma marocain ne peut appartenir au monde du cinéma que s’il y a des choses essentielles qui sont réalisées dans le pays ; la liberté de l’imaginaire, la liberté d’expression et la liberté de se retrouver paisiblement et parler librement. Il n’y pas beaucoup pays dans le continent ni africain, ni dans le monde arabe ou dans le monde dit très avancé qui puissent garantir ces choses là. Il important que le festival signale par sa seule présence que le Maroc est un pays d’avenir.

    Infomédiaire : Quel est l’impact du Festival International du Film de Marrakech sur le cinéma au Maroc?

    Noureddine Sail : Sur le cinéma au Maroc, il a un impact direct et indirect.

    Pour l’impact direct : Sur l’ensemble des gens qui viennent assister au festival à l’échelle internationale, il y’en a qui reviennent pour tourner et son Altesse Moulay Rachid accorde énormément d’importance à ce point.

    Ces gens reviennent au Maroc pas simplement pour assister au festival ou se promener mais pour investir. Le lien entre le festival international de Marrakech et l’investissement extérieur dans le cinéma au Maroc est vraiment avéré.

    Sur l’impact indirect, Marrakech connait durant le festival, une grande concentration de cerveaux cinématographiques, et énormément de gens, producteurs, réalisateurs et acteurs étrangers et nationaux qui se rencontrent. Ces rencontres finissent par créer un tel brassage que ces gens là nécessairement sont appelé à travailler ensemble ou à s'influencer. Nos cinéastes marocains deviennent extrêmement informés, nouent des relations et créent ce que j’appelle une sorte de marche pour l’avenir.

    Aujourd’hui, nous constatons que nous avons une facilité totale à prendre contact avec les gens qui ont assisté une fois ou deux au festival. Ils veulent revenir sans poser de conditions, au contraire ce sont eux qui relancent et demandent des informations sur la prochaine édition.

    Comme nous avons la qualité dès la fin d’un festival d’annoncer le prochain, finalement nous prenons rendez-vous de façon itérative et cela fait que le festival de Marrakech est l'un des rares festivals au monde en excluant les festivals de Cannes, Berlin et Venise où les gens savent que le rendez-vous tient et qu’ils vont revenir l’année d’après.

    Infomédiaire : Comment voyez-vous l'avenir du festival et du cinéma Marocain ?

    Noureddine Sail : L’avenir du festival est assuré, nous ne sommes en compétition avec aucun festival, nous estimons que tous les festivals naissent égaux en droit et ont le droit de se développer comme ils le souhaitent et comme ils le désirent.

    Nous sommes contre le fait de monter un festival contre un autre comme si finalement la terre n’était pas suffisante pour tout le monde.

    Quand le festival de Cannes se tient, 50 festivals se tiennent en même temps à travers le monde entier et personne n’a demandé au festival de Cannes de ne pas se tenir parce que d’autres festivals se tiennent au même temps et pareil pour Venise ou Berlin.

    A un certain moment, une sorte de compétition a eu lieu entre les festivals du monde arabe de Dubaï, Abou Dhabi, Damas ou du Caire, et le festival de Marrakech. Quand un grand acteur ou réalisateur est sollicité par 3 festivals, à ce moment il choisit d’aller là où il lui semble qu’il y a le plus de réalisations de ses désirs ou il choisit d’aller là où on paye le mieux.

    Le festival de Marrakech ne paye pas, donc pour ce point, le problème ne se pose pas.

    Je pense que là où il y a un festival, il faut applaudir et être content. Organiser des festivals dans le monde arabe ou le continent africain est une garantie pour la pérennité de la formation culturelle du citoyen et le cinéma inculque aux gens la liberté d’exister et de créer.

    Le plus important c’est le processus du développement du cinéma à travers l’esprit cinéphile et surtout le développement de l’esprit citoyen en regardant un film ensemble. Le festival de Marrakech rend un service énorme à la cause culturelle marocaine africaine et arabe et à travers ce festival le Maroc existe dans sa complexité et en même temps dans sa spécificité.

    Le cinéma marocain est sur les rails, des processus irréversibles ont été bien placés. La production marocaine ne reviendra pas en arrière. Nous avons débutés par 2 ou 3 films par an et nous sommes arrivés aujourd’hui à la limite de 20 ou 25 films. Je pense que l’orientation globale en nombre du film marocain continuera dans les années à venir et se stabilisera autour de 40 à 50 films par an.

    Les courts-métrages vivent une explosion magnifique grâce à des jeunes qui n’ont jamais rien fait cinématographiquement parlant et qui font aujourd’hui des films et nous arrivons à faire 80 courts- métrages par an.

    Actuellement, nous réfléchissons à comment créer un marché intérieur plus fort qu’il l’est aujourd’hui et ainsi passer de 60 écrans à une limite acceptable de 200 ou 300 écrans au Maroc.

    Nous avons déjà entamé le développement avec 15 écrans à Rabat, 15 à Tanger, 10 à Agadir et un investissement à Fès. Aujourd’hui, le marché intérieur va clôturer la problématique du cinéma marocain, je pense que nous sommes vraiment sur la bonne voie.

    Cependant, l’état ne doit pas arrêter aujourd’hui l’aide conditionnelle qu’il a garanti depuis maintenant presque 10 ans au cinéma. Le Maroc se place lui- même comme image parmis les pays les plus importants du monde, c'est-à-dire les pays qui sont capables de produire eux même leurs propres images.