Saïd Mouline, Directeur Général de l’ADEREE

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    Infomédiaire : Comment définiriez-vous l’ADEREE et quelle est la raison et le but de  la transformation du CDER à l’ADEREE ?
     
    Saïd Mouline :  Avec le lancement des programmes nationaux 2000 MW solaire et 2000 MW éolien, le Maroc a assurément fait le choix des énergies renouvelables dans sa stratégie énergétique.  Un ensemble de mesures et de lois ont été en effet adoptées ces dernières années dont la loi 13-09 sur les énergies renouvelables, la transformation du Centre de Développement des Energies Renouvelables (CDER) créé en 1982 en Agence Nationale pour le Développement des Energies Renouvelables et de l’Efficacité Energétique (ADEREE), la création de la MASEN, sans oublier le volet investissement avec la création de la SIE et le renforcement du rôle de l’ONE et de l’AMISOLE dans ce secteur. Au fait, le paysage énergétique marocain s’est considérablement enrichi par ces institutions considérées comme des leviers pour le développement du marché. Le rôle de chaque institution est bien défini. L’ADEREE étant l’Agence nationale qui a pour mission de contribuer à la mise en œuvre de la politique gouvernementale en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique, avec principales missions dans le domaine des énergies renouvelables l’identification de la ressource et la certification dans le domaine du solaire, de l’éolien, de la micro-hydraulique ou encore de la biomasse. Nous avons aussi une mission de veille et d’étudier les filières encore en phase de développement par l’implémentation de projets pilotes.L’ADEREE dispose en outre d’une plate-forme technologique sur son site de Marrakech qui abrite par ailleurs un laboratoire PV, un laboratoire thermique, un centre de formation spécialisé ainsi que d’un espace dédié aux installations de démonstrations des énergies renouvelables.
     
    Infomédiaire : Quelles sont les nouvelles missions et perspectives  de l’ADEREE?
     
    Saïd Mouline : La nouvelle mission principale concerne l’efficacité énergétique qui est à notre vis aussi importante que la production d’énergie par les renouvelables. Il ne faut pas oublier que l’énergie la moins chère est celle que l’on ne consomme pas. Prenez la facture énergétique de notre pays et réduisez là de 12% (chiffre qui est notre objectif pour 2020). Ce sont des milliards de dirhams d’économie qui sont en jeux chaque année. Il s’agit de continuer notre développement tout en consommant mieux c’est à dire réduire les gaspillages.
     
    Infomédiaire : La stratégie du  plan Maroc Vert peut-elle entrevoir un  nouveau modèle économique et un appui au développement de l’utilisation des énergies renouvelables dans le domaine agricole?
     
    Saïd Mouline : Tout à fait. Certes ce secteur ne représente qu’une petite partie de notre consommation d’énergie mais il nous intéresse sur deux points : l’efficacité énergétique des exploitations agricoles et la valorisation de la biomasse. Notre convention signée lors du SIAM avec la Fondation du Crédit Agricole va dans ce sens et déjà des exploitations ont été identifiées pour un audit énergétique.
     
    Infomédiaire : Que fait l’ADEREE pour l’évolution dans la maîtrise de consommation d’énergie des marocains dans les différents secteurs ?
     
    Saïd Mouline : L’ADEREE lance plusieurs programmes d’efficacité énergétique dans le bâtiment, l’industrie, et le transport, secteurs qui représente plus de 90% de notre consommation. L’ADEREE travaille actuellement avec les pouvoirs publics et plusieurs partenaires internationaux à lancer plusieurs programmes à destination de ces secteurs énergivores. Le secteur du bâtiment représente à lui seul 36% de la consommation énergétique finale et le secteur de l’industrie 32%. L’ADEREE a ainsi lancé récemment avec le soutien de l’Union Européenne un appel à propositions des projets d’efficacité énergétique dans le bâtiment d’un montant de 10 millions d’euros. Dans le secteur de l’industrie,  60 audits énergétiques sont en cours. Un programme lancé avec la BAD et la BEI. L’ADEREE veillera à accompagner les entreprises auditées à la réalisation des investissements recommandés par l’audit. Un programme spécifique concernant le chauffe eau solaire est aussi en phase de finition avec le  secteur du crédit à la consommation et les professionnels privés du secteur. Dans le secteur des transports nous prévoyons la formation à l’éco-conduite pour les flottes captives dans un premier temps et nous avons convaincu l’administration des douanes pour la mise en place d’une fiscalité encourageante pour les véhicules hybrides, ce qui a été inscrit dans la loi de finances de cette année. Enfin il ne faut pas oublier le volet réglementaire et un projet de loi cadre sur l’efficacité énergétique  qui est en cours d’approbation vise dans son ensemble la mise en place d’une réglementation à ce sujet. Nous avons aussi un projet de communication et de sensibilisation. Nous voulons que nos concitoyens, comme lorsqu’ils vont acheter une voiture, demande la consommation d’énergie de tout ce qu’ils achètent (appartements, électroménagers, lampes, ….) avant de décider.
     
    Infomédiaire : Où en est le Maroc sur le développement de l’énergie côtière ?
     
    Saïd Mouline : Vous avez raison de soulever cette question. Notre pays a un formidable gisement solaire et éolien mais il possède aussi plus de 3500 kilomètres de côtes. Nous travaillons sur des projets pilotes avec différents partenaires. Le premier concerne les algo-carburants. C’est une filière qui nécessite de l’eau de mer, du soleil et de l’espace à côté de la mer. Des projets sont développés en Espagne et aux USA. Nous pensons que notre pays a certainement une carte à jouer surtout qu’on parle d’un baril issu de cette filière qui serait de l’ordre de 80$ à l’horizon 2020 et peut-être même avant. Le deuxième concerne les hydroliennes. Ce sont des éoliennes sous marines qui utilisent l’énergie des courants. Nous avons entamé des discussions pour un projet de démonstration et aussi pour mieux connaître les courants marins le long de nos côtes. L’énergie de la houle aussi nous intéresse et des contacts sont pris avec des développeurs de Norvège mais aussi d’Ukraine.
     
    Infomédiaire : Quel est l’impact de la crise nucléaire au Japon sur le nucléaire marocain ?
     
    Saïd Mouline : Cette crise n’a laissé aucun pays déjà nucléarisé ou qui avait l’intention de l’être indifférent. Elle s’ajoute à l’accident de Tchernobyl et repose clairement la problématique de la sécurité de cette filière. Des pays ont décidé après Fukushima de payer une grosse facture pour sortir du nucléaire, je ne pense pas qu’il serait judicieux d’y entrer aujourd’hui. Un accident nucléaire n’est pas un accident industriel comme les autres. Il a des conséquences sur plusieurs générations et sur les autres secteurs comme le tourisme, la santé, l’agriculture et l’environnement. Aussi minime soit le risque, vu ses conséquences, nous nous devons d’impliquer tous les concernés avant de décider de ce choix qui engage les générations futures et dont le vrai coût incluant démantèlement et gestion des déchets sur des milliers d’années n’est pas si économique que certains le disent.
     
     Infomédiaire : Le Maroc a t-il  besoin de centrales nucléaires ou à gaz, ou l’électricité verte est-elle en mesure de garantir l’avenir énergétique?
     
    Saïd Mouline : Les énergies fossiles joueront encore un rôle important dans les décennies à venir, mais à voir la croissance des énergies vertes et les investissements annuels dans ce domaine (plus de 160 milliards de $ en 2010 malgré la crise), je pense que nous sommes dans une nouvelle vision énergétique mondiale pour des raisons écologiques mais aussi de ressources fossiles qui s’amenuisent. En 2009, il s’est installé en un an 40 000 MW éolien soit plus que le nucléaire durant les dix dernières années. Les orientations mondiales, aussi bien en Asie, en Amérique qu’en Europe, sont de plus en plus claires et notre pays a tous les atouts pour jouer pleinement la carte des énergies renouvelables.
     
    Pour répondre à votre question, le Maroc a encore besoin de centrales au charbon et au gaz pour que la transition se fasse en douceur. Le GIEC annonçait que les renouvelables pourrait représenter 80% de l’énergie mondiale en 2050. Si le coût du stockage de l’énergie est mieux maitrisé, notre pays pourra enfin prétendre à une indépendance totale à ce sujet pour l’électricité. J’ajouterai enfin qu’exporter de l’énergie verte sera aussi une opportunité pour notre pays dés que l’Europe acceptera de formaliser cette approche, ce qui lui permettra aussi de respecter ses engagements en terme d’émissions de gaz à effet de serre.