Laïdi EL WARDI, Directeur Général de la Banque de Détail à la Banque Centrale Populaire

    Infomediaire : Le paiement mobile est-il réellement en train de se développer au Maroc ?

    Laïdi EL WARDI : L’utilisation du cash devient aujourd’hui particulièrement contraignante. Par exemple, lorsque vous prenez un taxi et que vous n’avez pas de monnaie sur vous, cela devient tout de suite embarrassant de tendre un billet de 200 DH au chauffeur. Pourtant, lorsque vous utilisez Uber ou Careem, vous pouvez payer juste avec votre smartphone. Je suis convaincu que le paiement mobile est promis à un développement exponentiel dans les prochaines années au Maroc.

    Infomediaire : Les smartphones pourront-ils bientôt remplacer les guichets automatiques ?

    Laïdi EL WARDI : Se retrouver devant une machine aussi imposante qu’un automate bancaire, est souvent une expérience assez intimidante pour beaucoup de clients. Avec le smartphone, on se sent plus à l’aise. On peut réaliser toutes nos transactions tranquillement depuis chez soi, bien installé dans son canapé. Le smartphone est devenu un prolongement, voire une extension de nous-mêmes. Nous l’utilisons pour envoyer des messages intimes. Nous lui confions nos données personnelles, mais aussi la gestion d’une partie de notre vie. C’est un objet important qui fait déjà partie intégrante de notre quotidien, et qui en fera davantage partie dans les années à venir.

    Infomediaire : Le cash a pourtant bien fonctionné pendant des années, alors pourquoi changer aujourd’hui ?

    Laïdi EL WARDI : En plus des nombreux risques liés à sa manipulation, le coût de gestion du cash au Maroc avoisine les 7 milliards de DH par an. Sa distribution, sa collecte et son conditionnement auprès des commerçants et des agences bancaires notamment, nécessite le déploiement d’un dispositif humain et logistique très onéreux. Lors des paiements mobiles, les transactions sont opérées de manière instantanée, sans frais liés au transport, sans risques de déperdition et sans perte de temps.

    Infomediaire : Alors comment faire pour stimuler davantage le paiement mobile sous nos latitudes ?

    Laïdi EL WARDI : Il existe un certain nombre de leviers au Maroc sur lesquels on peut s’appuyer pour faire en sorte que l’usage du paiement mobile devienne massif. Il y a tout d’abord, les risques de pertes et de vols liés à la manipulation du cash. Les gens ne se sentent pas forcément rassurés lorsqu’ils transportent du cash avec eux dans la rue, surtout s’il s’agit de sommes d’argent importantes. C’est, donc, l’un des leviers qui va probablement contribuer fortement à l’adoption du paiement mobile au Maroc. Il y a ensuite, la volonté affirmée par de plus en plus de ménages marocains, qui cherchent à mieux gérer leurs dépenses et à maîtriser davantage leurs budgets. Le wallet électronique « BPAY » participera de cet aspect car il permet d’avoir une visibilité permanente sur ce que qui a été dépensé et sur le solde disponible. Comme par ailleurs, elle permet d’adosser plusieurs wallets sur un même compte bancaire, ce qui autorise la création de plusieurs wallet spécialisés par nature de dépenses.

    Infomediaire : Le fait que vous soyez les premiers à lancer une application telle que « BPAY », cela n’a-t-il pas fait grincer des dents vos concurrents ?

    Laïdi EL WARDI : Vous savez c’est très simple. Nous étions devant le dilemme suivant : est ce que l’on attend que tout se mette en place pour lancer le service, ou bien démarrer et bâtir les écosystèmes de paiement, en étant à l’écoute des besoins des usagers. Nous avons finalement décidé de relever le challenge, et de nous lancer en premier. Dans les semaines à venir, d’autres banques confrères nous rejoindront. Le switch national est en cours de mise en place, pour permettre l’interopérabilité bancaire. Il sera effectif d’ici juin prochain. Trois autres banques vont lancer incessamment leurs applications de paiement mobile, ce qui conduira à la massification de l’usage de ce type de solution.

    Infomediaire : Côté marketing, c’est tout de même important que vous soyez la première banque à le faire…

    Laïdi EL WARDI : On l’espère bien en tout cas (rires) ! Nous devons néanmoins, être très vigilants. Le premier s’expose toujours, parce qu’il dévoile ses atouts plus tôt que les concurrents. Mais comme précisé tout à l’heure, cette question a été tranchée au tout début du projet, et nous nous sommes lancés pour faire bénéficier nos clients des fonctionnalités inédites que propose notre solution « BPAY ».

    Infomediaire : Oui, mais dans une dizaine d’années vous pourrez dire avec fierté que vous avez été les pionniers en la matière !

    Laïdi EL WARDI : Vous savez, nous avons été pionniers sur beaucoup de choses liées à la banque au Maroc. Nous avons par exemple, été les premiers à lancer la banque en ligne au Maroc. Nous avons également été les premiers à lancer les notifications SMS sur le compte bancaire, mais aussi les premiers à déployer le service de paiement des transferts d’argent sur les automates bancaires, ou encore le service de changement des codes PIN directement au niveau des automates bancaires. Et puis, pendant très longtemps la BCP fut le seul centre certifié « swift » au niveau de toute la région.

    Infomediaire : Mais pourquoi vous n’en parlez pas assez dans vos sorties et dans vos communications ?

    Laïdi EL WARDI : A la BCP, on considère que faire avancer les services bancaires et la bancarisation au Maroc est presque une mission nationale. Nous nourrissons une certaine pudeur, à faire en quelque sorte un étalage de nos réalisations. Disons que c’est une forme de culture interne chez nous que de ne pas communiquer sur nos réalisations de manière extravagante ou excessive.

    Infomediaire : Pouvez-vous nous en dire plus sur la phase expérimentale actuelle par laquelle passe l’application « BPAY »…

    Laïdi EL WARDI : Après quelques jours de lancement, le nombre de clients ayant activé le service a dépassé le millier. Des transactions ont déjà été enregistrées dans la plateforme. Elles sont de différentes natures. A titre anecdotique, nous avons été surpris par l’importance des montants de ces premières transactions. Vous l’avez certainement compris : une fois la plateforme déployée, les différents usages du service nous permettront à très court terme, de mieux cerner les besoins de nos clients. Nous travaillerons à améliorer la plateforme, pour leur offrir l’expérience la plus conviviale pour réaliser leurs paiements.

    Infomediaire : Comment fonctionne au juste cette plateforme ?

    Laïdi EL WARDI : L’application « BPAY » fonctionne un peu comme un porte-monnaie électronique, une espèce de « wallet » qui sécurise vos transactions. Lorsqu’on a mis en place l’application, nous l’avons dotée d’un système de sécurité et d’authentification drastique. Ce wallet est rechargé depuis un compte bancaire.

    Infomediaire : Est-ce que l’on peut imaginer un déblocage de micro-crédits par exemple via une application comme « BPAY » ?

    Laïdi EL WARDI : Nous effectuons déjà des déblocages de micro-crédits demandés par des clients directement sur leurs comptes bancaires. Si ces clients utilisent l’application BPAY, rien ne les empêche d’effectuer des transactions commerciales via cette application avec le montant qui leur a été accordé dans le cadre du micro-crédit.

    Infomediaire : Et si quelqu’un perd son téléphone ? Quels risques pour lui s’il possède des applications de paiement mobile sur son smartphone ?

    Laïdi EL WARDI : Le système est parfaitement verrouillé et les risques de fraudes demeurent maîtrisés. Toute transaction accomplie chez nous à la BCP est filtrée. La moindre action suspecte fait l’objet d’investigations. Lorsque nous avons un doute, nous n’hésitons pas à appeler le client pour savoir s’il est l’instigateur ou non de la transaction. Nous sommes également en train d’implémenter un système de reconnaissance biométrique directement sur l’application BPAY.

    Infomediaire : Nous avons beaucoup parlé du paiement mobile auprès des particuliers, mais quid des commerçants ?

    Laïdi EL WARDI : Il faut absolument que le paiement mobile devienne réellement attractif pour les commerçants. Il faut que l’on change radicalement la manière avec laquelle on tarifie les transactions accomplies par paiement mobile. Nous devons également faire en sorte que ces transactions deviennent accessibles pour tout le monde et partout au niveau des commerces de proximité. Nous devons pour cela créer un véritable écosystème du paiement mobile autour du commerçant.

    Infomediaire : Comment pensez-vous que les choses seront amenées à évoluer à l’avenir ?

    Laïdi EL WARDI : Je ne m’aventurerais pas à faire des pronostics. Nous devons être attentifs à la réaction des usagers pour ajuster constamment les services à leurs attentes. Toujours est-il que la confiance des usagers dans les services de paiement mobile demeurera particulièrement importante. Par ailleurs, les habitudes des consommateurs évoluent constamment de nos jours.