Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi a récemment parlé de ce qui pourrait être un tournant important dans le système pénal national. Le Maroc serait en train de se diriger vers l’adoption des sanctions alternatives, comme moyen de réduction de la population carcérale du pays, mais aussi pour donner une seconde chance à ceux qui le méritent. Le projet de loi est en train d’être étudié par le ministère de tutelle avec la communauté des juristes, afin que rien ne soit laissé au hasard. Achraf Sym Tameloucht, juriste et formateur juridique, apporte sa lecture sur le sujet.

Quel est l’intérêt d’adopter des peines alternatives à l’heure actuelle au Maroc ?

Achraf Sym Tameloucht, juriste et formateur juridique.

Comme l’a souligné le ministre de la Justice, l’intérêt principal d’adopter des peines alternatives à l’incarcération est porté principalement au mineur de moins de 15 ans. C’est une solution intelligente pour réduire la population carcérale tout en améliorant la réinsertion des jeunes délinquants dans le milieu du travail. L’expérience des pays européens, qui appliquent ce genre de peines depuis des années, a déjà montré son efficacité, à savoir une baisse de la récidive légale et une meilleure réinsertion professionnelle et sociale des personnes incarcérées.

 

Pensez-vous que cela puisse contribuer à réduire la criminalité dans la société ?

Force est de constater que le milieu carcéral est une école de la criminalité, surtout pour le délinquant d’opportunité, qui ne porte pas nécessairement en lui le profil « criminel » au jour de son incarcération. Appliquer les peines alternatives à l’incarcération pour le mineur peut lui éviter la contamination par l’esprit criminel au sein de la prison, par conséquent cela contribuera à réduire la récidive légale au Maroc. C’est aussi une opportunité de discipliner les mineurs les plus violents en leur imposant des travaux d’intérêt général.

Abdellatif Ouahbi a parlé de la possibilité de payer une somme d’argent contre la réduction de sa peine. Quelle lecture faites-vous de cette proposition ?

L’intérêt principal de la justice pénale n’est pas d’emprisonner pour venger la société, mais plutôt pour la préserver de la criminalité et pour réparer les victimes de l’infraction commise à leur encontre. Le délinquant ayant commis une infraction punie d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à deux ans ne constitue pas forcément un danger pour la société. Autrement dit, cette personne n’est pas assez dangereuse pour qu’elle soit coupée totalement de la société en la mettant en prison. Devoir acheter ses jours de peines de prison est une solution intelligente pour à la fois punir le délinquant tout en augmentant l’actif de l’état.

Cette mesure profitera davantage aux personnes en état de précarité qu’aux personnes riches, étant donné que les condamnations touchent plus les premiers par rapport aux autres. D’autant plus que le juge pourra adapter la somme à payer, entre 100 et 2000dhs par jour, selon le statut social de la personne condamnée. Il faut souligner que le bracelet électronique est aussi une possibilité alternative à l’incarcération, que le juge pourra choisir, selon son appréciation souveraine de l’affaire qu’il doit juger.

La population carcérale des mineurs est très importante au Maroc, ce que l’on cherche à réduire à travers l’application de travaux d’intérêt général. Comment procéderait-on dans ce sens ?

C’est une question délicate et sérieuse, car on doit créer par la même occasion un service dédié à ces nouvelles mesures, afin qu’il suive et favorise la réinsertion des personnes condamnées. Ce service doit être doté de la célérité afin de réduire le temps qui s’écoule entre la prononciation de la culpabilité et le début des travaux d’intérêt général, car c’est au cours de ce temps que la récidive est plus fréquente. Le travail de ce service doit se faire avec une étroite collaboration avec le juge de l’application des peines et des autorités de police. Les personnes condamnées doivent être suivies d’une manière minutieuse et personnelle, afin de contrôler la bonne exécution de la peine alternative. En cas de non-respect de ces mesures, la personne devra être incarcérée pour purger sa peine principale.

Si l’on devait établir un comparatif entre le Droit marocain et le Droit international pour ce qui est des peines alternatives, quel serait le constat ?

Beaucoup de pays dans le monde, qui utilisent ces mesures comme l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Espagne, le Brésil, ont vu une baisse de la criminalité. Toutefois, cela demande une grande logistique, un budget et une grande volonté de la part de tous les acteurs qui vont contribuer à cette mission. C’est une démarche innovatrice et prometteuse pour notre pays de rénover sa politique pénale vers le mieux. Le Maroc devrait réussir à effectuer cette transition, pour laquelle l’on peut saluer le ministère de la Justice d’avoir pensé à cette réforme.