Delphine Borione, Secrétaire Général Adjointe de l’Union pour la Méditerranée (UpM)

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    Infomediaire : Quelle est votre vision de la situation de la femme dans la région MENA, quant à sa participation dans la vie politique, on note effectivement un taux de participation de 16% contre 28% dans les pays européens ?

     

    Delphine Borione : La participation des femmes dans les organes représentatifs de la région s'est améliorée durant les dernières décennies. Les données montrent que les femmes continuent à accroître leur participation à la vie publique et aux postes de responsabilité gouvernementaux à la fois aux niveaux national et local. Ces progrès ont été notamment permis par l'introduction de quotas à différents niveaux, ainsi que des changements progressifs de perceptions du public concernant les rôles entre les deux sexes. Les pays qui ont favorisé l’exercice du droit de vote pour les femmes ont tendance à avoir une plus forte représentation des femmes au Parlement.

     

    Un autre facteur positif qui contribue à renforcer l’égalité homme-femme dans la sphère publique tout en améliorant l’efficacité et la cohérence des politiques publiques est lié à l’introduction et la diffusion de la « budgétisation sensible au genre », pour laquelle le Maroc joue un rôle exemplaire dans la région.

     

    Dans le secteur de la Justice, la présence des femmes dans les ministères de l'Intérieur et de la Justice a augmenté ces dix dernières années. Le taux de participation des femmes comme juristes s’élève à 25 %, un taux proche de la moyenne mondiale. En parallèle, des possibilités accrues de réseautage et de communications résultant des progrès technologiques et des médias sociaux ont offert aux femmes de nouvelles possibilités pour exprimer leurs opinions et participer à la vie politique.

     

    Toutefois, malgré les progrès réalisés à cet égard, nous sommes encore bien loin de la parité ! Les données montrent que le taux moyen de participation à la vie politique des femmes dans la région avoisine 16 %, ce qui reste inférieur à la moyenne mondiale qui est de 21,8 %. 

     

    Les femmes continuent à faire face à plusieurs obstacles à cet égard : obstacles juridiques, par exemple en matière de mobilité dans certains pays ; réticence des partis politiques à soutenir les femmes candidates; barrières culturelles et financières et la difficulté de concilier les exigences de la vie politique avec les responsabilités familiales.

     

    Infomediaire : Le même constat est noté en matière de travail puisque le taux de participation des femmes  au marché du travail en Europe est plus important qu’il ne l’est dans la région MENA, à quoi est dû cet état de fait selon vous ?

     

    Delphine Borione : Il est vrai que le taux d’employabilité des femmes dans la région est l’un des plus faibles du monde. Dans la région MENA, elles représentent seulement 28 % de la population active par rapport à une moyenne mondiale de 52 %, alors que les femmes représentent dans certains pays, plus de 63 % des étudiants de l’Université.

    Le taux d’emploi des femmes est beaucoup plus élevé dans le secteur public. Toutefois, on constate que seulement 1,2 % des cadres sont des femmes, comparées à une moyenne mondiale de 18,6 %. 

     

    Les taux de chômage des femmes restent très élevés, à environ 18 % (contre une moyenne mondiale de 6 %), même quand elles ont des diplômes universitaires. Dans certains pays, beaucoup de femmes travaillent dans des secteurs de l’économie informelle (par exemple, travailleurs domestiques ou agricoles) qui ne sont ne pas couverts par les codes du travail. Ce manque de protection renforce la vulnérabilité des femmes et les risques d’exploitation ou de pratiques de travail déloyales.

     

    Les données en matière de scolarisation suggèrent que les investissements considérables en matière d’éducation n’ont pas été traduits en un taux égal de participation des femmes dans la vie économique. Les femmes sont toujours confrontées à beaucoup de contraintes et de forte discrimination en matière d’accès à l’emploi et aux postes de responsabilités dans les secteurs public et privé. La difficile transition de l’école au travail des jeunes et en particulier les jeunes femmes, semble compromettre en partie les effets bénéfiques de l’éducation des filles.

     

     Plusieurs facteurs peuvent expliquer la faible participation des femmes à la vie active, mais on peut en citer deux importants : premièrement,  la faible croissance économique enregistrée dans la région dans les années 1990 a conduit à des faibles résultats sur le marché du travail, qui ont empêché l’absorption des ressources en main-d’œuvre. Les employeurs préfèrent souvent embaucher des hommes. Cette préférence est parfois fondée sur l’idée que le revenu des hommes est plus important pour leurs familles que celui des femmes. Les femmes, se rendant compte de leur faible probabilité d’être embauchés, ont ainsi tendance à quitter ainsi d’elle-même la population active. 

     

    Le deuxième facteur important concerne le modèle dominant de la croissance économique dans la région qui s’appuie en grande partie sur des emplois dans le secteur public, souvent privilégié par les femmes. Ceci s’explique par la perception que les professions du secteur public comme l’enseignement et de soins infirmiers sont plus adaptées aux femmes, que le secteur public est plus égalitaire dans le recrutement et la fixation des salaires et que les conditions favorables de travail comme les congés de maternité plus généreux. Dans le secteur privé, en revanche, les femmes travaillent souvent avec des salaires plus bas et avec un faible potentiel de croissance. Il y a des exceptions, cependant, notamment au Maroc et en Tunisie, qui ont été en mesure de développer les exportations de produits manufacturés, notamment dans le textile et qui ont enregistré un certain succès en augmentant la participation des femmes dans le secteur privé payant.

     

    Favoriser un égal accès des femmes et des hommes dans la vie économique a donc un potentiel de croissance considérable, que la Banque Mondiale comme l’OCDE chiffrent à un minimum de 25 % du PIB pour chaque pays de la région MENA.

     

    Infomediaire : Pouvez-vous nous citer certains  projets de coopération régionale au profit de la femme sur lesquels vous travaillez actuellement ?

     

    Delphine Borione : L’Union pour la Méditerranée  travaille actuellement sur 14 projets qui bénéficient à plus de 50.000 femmes. Ces projets favorisent notamment la promotion de l’entreprenariat féminin, l’accès des femmes aux  postes de décision, l’éducation et la formation professionnelle, la lutte contre la violence, la promotion de l’égalité homme-femme.

     

    Je voudrais citer le projet «  Femmes créatrices d’emploi » promu par l’Association des organisations des femmes d’affaires méditerranéennes (AFAEMME) et mis en œuvre au Maroc par l’AFEM, dont je voudrais saluer le dynamisme, et qui tient d’ailleurs une importante conférence cette semaine à Marrakech sur « Femmes et croissance ; Osons l’économie de l’immatériel » à laquelle j’ai l’honneur de participer.  Près de 2000 jeunes étudiantes dont environ 600 au Maroc, ont bénéficié des Journées de l’Entrepreneuriat Féminin organisées dans 32 universités et institutions d’enseignement supérieur grâce au rôle clé des organisations nationales de femmes chefs d’entreprises qui apportent à ces jeunes filles des activités de soutien. 

     

    Un autre projet promu par AMIDEAST a pour objectif de soutenir 450 jeunes femmes et jeunes filles défavorisées du Maroc, de Jordanie et du Liban afin qu’elles acquièrent les outils pratiques et les connaissances nécessaires pour accéder au marché du travail, tels que la maîtrise  de l’anglais en situation professionnelle, les compétences informatiques, la communication commerciale et les techniques de recherche d’emploi. 

    Un autre projet « Former des citoyens responsables » vise à contribuer à la prévention de la violence contre les femmes et les jeunes filles à travers la mise en place d’un cursus d’enseignement civique renouvelé au Maroc, en Tunisie et en Égypte. Ce cursus met l’accent sur la prévention de la violence et la promotion de l’égalité entre garçons et filles dans les écoles au niveau du collège.

     

    La Fondation des femmes de l’Euro-Méditerranée  a pour sa part l’objectif de fournir, à travers sa plateforme internet,  une source de connaissances visant à partager et diffuser des informations en relation avec les questions de genre; à créer des réseaux entre associations et organisations, et renforcer l’implication des acteurs locaux sur les problématiques d’égalité.

     

    Nous mettons aussi beaucoup d’ambition dans le rôle que pourra jouer l’Université euro-méditerranéenne de Fès pour devenir un véritable vecteur de formation et la mobilité des femmes de la Méditerranée.

     

    Infomediaire : La 4ème  réunion ministérielle des 43 pays de l'UpM aura lieu vers la fin de l’année 2016, pouvez-vous nous en parler ? Quelles sont les personnalités présentes cette année ?

     

    Delphine Borione : La date précise de la prochaine conférence ministérielle sur le Renforcement du rôle de femmes dans la société sera arrêtée dans les prochaines semaines par la co-présidence de l’UPM, l’Union Européenne et la Jordanie. Elle réunira de nombreux ministres et de hautes personnalités. 

     

    Pour la préparer, le Secrétariat Général de l’UpM a lancé en 2015 un Dialogue Régional sur le renforcement du rôle des femmes impliquant les États membres de l’UpM et les institutions clés dans le domaine de l’égalité de genre dans la région. Cette plateforme de discussion a pour objectif d'examiner les progrès réalisés en termes d'actions par rapport aux engagements ministériels qui avaient été pris lors de la 3eme Conférence ministérielle, et de préparer des recommandations pour la prochaine. Quatre priorités ont été identifiées : Accroître la participation des femmes à la vie économique ; améliorer l'accès des femmes aux fonctions de direction et de prise de décision ; combattre la violence à l’égard des femmes et la violence basée sur le genre ; changer les stéréotypes grâce à l'éducation et à la culture. 

     

    En réunissant les acteurs majeurs engagés sur l’égalité homme-femme pour définir les initiatives et projets régionaux, la Conférence sur le rôle des femmes que le Secrétariat Général de l’UpM organisera en octobre prochain sera une étape importante dans ce processus. 

     

    Nous nous félicitons de voir l’engagement actif du gouvernement marocain dans tous ce processus. Le Secrétariat Général de l’UpM est d’ailleurs partenaire du Maroc dans l’organisation d’un évènement sur le « Renforcement de la mise en œuvre des lois pour mettre fin à la violence à l'égard des femmes» à la 60ème Commission de la condition de la femme à New York le 14 mars prochain.