Inaugurée le 21 octobre 2020 au Musée Yves Saint Laurent Marrakech, l’exposition Bert Flint a conquis le public. Forte de ce succès et face à cet engouement, l’exposition est prolongée jusqu’au dimanche 1er août 2021.Car cette exposition explore une histoire commune, un patrimoine partagé entre le Maroc et l’Afrique subsaharienne. Elle témoigne de la richesse des traditions rurales et berbères mais aussi de la diversité des cultures marocaines et subsahariennes, par le biais des objets du quotidien et de l’artisanat présentés de manière inédite. Cette exposition, qui évoque un monde perçu comme traditionnel, tire sa force de cette façon d’être totalement en phase avec notre époque, une façon d’être profondément contemporaine et d’une grande actualité.

Cette exposition dessine, aussi et surtout, le portrait de Bert Flint, celui d’un regardeur, qui, par sa proximité, avec les différentes cultures marocaines et subsahariennes, a su mesurer leur caractère paradigmatique. Elle regroupe ainsi des oeuvres de sa collection personnelle qui témoignent de son regard sur la diversitéet la richesse des traditions berbères qui se sont épanouies de l’Atlas àl’Anti-Atlas et du Sahara au Sahel. Cette exposition s’inscrit aussi dans une longue histoire d’amitié, d’admiration et de collaboration entre la Fondation Jardin Majorelle et Bert Flint. Suite à la généreuse donation faite en 2015 par ce dernier au Musée Pierre Bergé des Arts Berbères, il revenait àla Fondation de lui rendre hommage, avec un ouvrage exhaustif publiéen 2018, et désormais, avec cette exposition.

Pensée comme un vaste poème visuel, l’exposition suit la démarche de Bert Flint, en privilégiant un langage formel. Vanneries, poteries, parures, amulettes, textiles et maroquineries dessinent, ensemble, un paysage emblématique de sa pensée et de son regard sur ces territoires. Ainsi assemblés, ces objets nous invitent à repenser notre approche des productions artistiques de ces différentes régions. Comme un voyage imaginaire, l’exposition traverse les territoires et les sites allant de Marrakech à Tafilalet jusqu’aux régions subsahariennes, du Niger à la Mauritanie.

Chaque étape du parcours est en lien avec une de ces régions qui, porteuse de son histoire, enrichit et transforme les autres régions au contact des populations nomades ou semi-nomades. Riche de ces échanges, chaque objet exposéest en réalitétémoin et indice de pratiques culturelles partagées et atteste de la présence d’un socle culturel commun. Avec cette mosaïque qui se développe de part et d’autre, du Maroc au Sahel, il s’agit aussi de penser tous ces mondes comme une seule entitéculturelle et artistique.

Dans cette perspective, l’exposition parle du regard de Bert Flint sur les oeuvres et les mondes qu’elles suggèrent. Les oeuvres parlent aussi les unes des autres, nous renvoyant une certaine image de cette géographie artistique. Est- Ouest, Nord-Sud, les échanges et les circulations sont comme des traits d’union culturels reliant les traditions marocaines àl’Afrique subsaharienne. Par ces jeux de rapprochements et de renvois, l’exposition porte une nouvelle attention àces cultures et tente de rendre manifestes les apports mutuels de tous ces décors et motifs.

Elle semble nous dire beaucoup sur Bert Flint mais aussi sur notre monde. Elle se fait l’écho des territoires qu’il a traversés et des cultures qu’il aime. Cette exposition, àl’image de la pensée de Bert Flint, tire sa force de cette façon d’être totalement en phase avec notre époque, une façon d’être profondément contemporaine.

Néen 1931 aux Pays-Bas, j’ai fait mes études universitaires en langue et littérature espagnoles aux Pays-Bas. C’est une visite à l’Alhambra de Grenade qui éveilla mon intérêt pour l’histoire de l’Espagne musulmane et pour la civilisation d’al-Andalus.

Lors de mon premier voyage au Maroc en 1954, j’ai découvert que l’architecture et la décoration de nombreuses demeures privées d’anciennes villes du Maroc se rattachaient à la même tradition artistique que celle ayant inspiré l’Alhambra. J’ai été émerveillé de voir que les habitants de ces demeures menaient une vie guidée par la quête quotidienne de la beauté et de l’élégance dans le geste. La tradition andalouse, telle que vécue au Maroc, s’est révélée à moi comme un modèle de vie et c’est pour m’initier aux différents aspects de cette tradition citadine si accomplie que j’ai décidéde m’installer àMarrakech en 1957.

En 1960, j’ai voyagéafin d’étudier la situation artistique du Proche-Orient au début du VIIe siècle, à l’avènement de l’Islam. Sur mon itinéraire, j’ai eu l’occasion de visiter quelques chefs-d’oeuvre de l’art byzantin à Ravenne et à Istanbul et, pendant mon séjour en Égypte, de voir les résultats de récentes fouilles archéologiques. Les objets exposés dans les musées mettaient en évidence la perfection des réalisations artistiques de l’époque néolithique et des empires agraires de la Mésopotamie et de l’Égypte ancienne. J’ai retrouvé, dans ces dernières, les fondements de l’activité artistique dans une interaction entre matière, technique et fonction.

À mon retour au Maroc, les manifestations visuelles et musicales du monde rural marocain ont progressivement retenu mon attention. La tradition héritée d’al-Andalus finit par m’apparaître comme un regard tournévers le passé, làoù la culture rurale marocaine se présentait à moi avec la vitalité nécessaire pour construire l’avenir du Maroc.

J’ai enseignéàl’École des Beaux-Arts de Casablanca de 1965 à1968, un moment d’avant-garde dans le domaine de l’enseignement en art. Il s’agissait, pour l’École de Casablanca, de remettre en question les méthodes d’enseignement utilisées en Europe en attribuant une valeur artistique aux arts traditionnels du Maroc. Mes propres recherches m’avaient pousséàreconnaître dans les manifestations matérielles de la culture rurale un témoignage de l’expérience du temps et de l’espace dépendant des modes de vie (nomade ou sédentaire) et de production (élevage ou agriculture).

Dans les années 1970, un intérêt grandissant pour mes recherches s’est manifesté au niveau international, ce qui me valut de participer à de nombreuses expositions et conférences dans des musées et universités en Europe et en Amérique.

En 1981, j’ai décidéde quitter l’enseignement pour développer ma propre créativité. J’ai notamment cherché à donner une expression contemporaine à des modèles de vêtements réalisés avec des tissages traditionnels marocains que j’ai présentés à Paris sous le titre « Variations sur un pli ».

En 1990, j’ai participéàla création du Musée Municipal du Patrimoine Amazigh d’Agadir où une grande partie de ma collection d’objets provenant de l’aire linguistique du parler berbère « tachelhit» a été exposée jusqu’en 2000.

Au cours de cette décennie, j’ai effectuémes premiers voyages en Mauritanie et dans les pays du Sahel. Au cours de ceux-ci, j’ai commencé mes recherches sur la relation entre un certain type de bijoux portés par les Touaregs du fleuve Niger et les pieux de lit utilisés par ces mêmes populations.

Dans ma maison àMarrakech, devenue le Musée Tiskiwin en 1996, j’ai organisémes collections afin de démontrer que les populations réparties du Sud du Maroc au Sahel font partie d’une même communauté culturelle, partageant des milieux naturels similaires et des traditions communes en grande partie héritées de la Préhistoire. Ma volontéd’aborder cette thématique s’est affirmée après ma participation, en 1995, àl’exposition Africa, the Art of a Continent àla Royal Academy of Arts, à Londres.

La constitution récente d’une collection d’objets néolithiques et les voyages que j’ai effectués ces dernières années – du Maroc au Niger – ont renforcéma conviction initiale : le Maroc est intimement lié, depuis la Préhistoire, au monde subsaharien. C’est ce dont veulent témoigner mon musée mais aussi cette exposition.

BERT FLINT : BIOGRAPHIE

Bert Flint, néen 1931 au Pays Bas, est diplôméde l’Universitéd’Utrecht. Depuis 1957, il habite Marrakech, où il était venu enseigner l’espagnol. Passionnédes arts populaires marocains, Flint effectue des recherches sur différents aspects de la culture berbère et collectionne des objets depuis plus de soixante années. Ardent défenseur de la culture rurale marocaine, il ouvre, en 1996, son propre musée àMarrakech, le Musée Tiskiwin, qu’il finance de manière autonome et où il partage avec le public une collection comprenant des costumes, des bijoux, des meubles, des tapis, des textiles, provenant principalement de la Vallée du Souss et de la région subsaharienne du Royaume. Au travers de ses collections, il témoigne des liens profonds qui unissent le Maroc et sa culture au monde subsaharien.