Après les spéculations entourant la fermeture des magasins H&M et Starbucks au Maroc, démenties ultérieurement par AlShaya, un autre coup dur semble avoir frappé le marché. Le groupe Al Hokair, propriétaire de plusieurs enseignes populaires (New Yorker, Terranova, Kiko, Charles & Keith, Pedro, US Polo ASSN, La vie en rose, Accessorize, etc.) serait en train d’amorcer un retrait du marché marocain.

Une tournée dans les malls de Casablanca et Rabat révèle des magasins vides ou fermés, suscitant des inquiétudes quant à l’avenir de leurs employés. L’Infomédiaire a tenté de joindre le Groupe détenu par le Saoudien Sheikh Abdulmohsin Alhokair, mais en vain. L’absence d’informations claires sur le sort des employés laisse planer un doute préoccupant. On estime que plus d’une centaine d’emplois pourraient être perdus au sein du groupe au Maroc.

Crise des enseignes, un défi pour l’économie marocaine

Mohamed El Fane, président de la Fédération Marocaine de la Franchise (FMF), pointe du doigt le retard dans l’exécution des recommandations fiscales de 2019 comme l’un des principaux facteurs contribuant à la situation actuelle du marché. «Nous n’avons pas cessé de réclamer au ministère de tutelle d’accélérer l’exécution des recommandations des assises de 2019, notamment en ce qui concerne l’impôt sur l’immobilier et l’impôt commercial. Nous avons même sensibilisé la Douane vis-à-vis de la nécessité de baisser à moins de 30% les droits sur les produits, car ce taux n’est guère compétitif. L’on ne saurait parler d’un réel changement qu’en appliquant des taux entre 15 et 20%», a-t-il confié à L’Infomédiaire. Il insiste sur la nécessité pour le gouvernement d’accélérer la mise en œuvre des recommandations desdites assises.

Alors que la plupart des commerces continuent de subir les répercussions de la pandémie, El Fane appelle à une approche plus clémente de la part de l’État envers leurs activités. Le président de la FMF indique que «l’État doit effectuer une étude sur une longue durée, 10 ou 20 ans voire 30, en impliquant les acteurs du marché qui sont présents sur le terrain, et non pas se baser sur l’avis de parties qui n’ont aucune idée de la situation réelle. Il faudrait que l’État soit plus solidaire au lieu de viser des gains rapides. Par ailleurs, le ministère de tutelle se doit de réaliser une étude sur le business modèle des commerces de proximité. À l’heure actuelle, il y a un grand décalage entre la vision de la Direction générale des impôts (DGI) et le ministère vis-à-vis de la réalité du marché».

Il préconise la mise en place de stratégies à long terme, s’inspirant de modèles réussis dans d’autres pays tels que la Turquie, la Malaisie ou la Grèce. Une étude à long terme, impliquant les professionnels concernés, est recommandée pour une vision réaliste et durable.

Le départ de marques telles que New Yorker, Terranova ne semble pas arbitraire. Les charges fiscales, en particulier la taxation des royalties et la taxe professionnelle, exercent une pression significative sur leur chiffre d’affaires. Les coûts élevés des loyers, surtout dans les malls, ont également incité certaines enseignes à revoir leur présence, comme l’a fait AlShaya avec H&M.

L’absence du middle management, un facteur aggravant

L’inexistence d’un middle management performant est un facteur aggravant de la situation actuelle du marché des enseignes au Maroc. En effet, le middle management est chargé de la mise en œuvre des stratégies élaborées par la direction générale et de la coordination entre les différents niveaux de l’entreprise. Dans le cas des enseignes étrangères, il est souvent composé de cadres étrangers, qui ne sont pas toujours familiarisés avec les spécificités du marché marocain.

Pour y remédier, le Maroc doit investir dans la formation et le développement du middle management. Il est également important de favoriser l’émergence de cadres marocains, qui seront mieux à même de comprendre les besoins des consommateurs et de gérer efficacement les entreprises.

Vers une économie solide ?

Cette situation précaire n’affecte pas seulement les enseignes, mais également les consommateurs. Le président de la FMF souligne l’importance de placer ces derniers au cœur des préoccupations pour construire une économie solide. Confrontés à des produits plus abordables dans l’informel et à l’étranger, ils modifient leurs habitudes d’achat, laissant un vide sur le marché local. «On ne peut pas construire une économie solide sans que le consommateur ne soit au centre de la réflexion. Il faut mettre en place des stratégies qui puissent permettre à 60 à 70% des Marocains de consommer librement. Si la classe moyenne ne peut plus consommer, on n’a plus rien», déplore-t-il.

La disparition progressive de ces enseignes et l’absence de produits «made in Morocco» soulèvent des questions majeures concernant la nécessité de trouver des solutions durables plutôt que de s’employer à éteindre les feux temporaires. Face à ces défis, le Maroc se trouve à un carrefour économique crucial, et se doit de prendre des mesures stratégiques pour revitaliser son paysage commercial.