Gérard Prenant, Directeur Maroc du Groupe Pizzorno Environnement

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    Infomédiaire : La réduction des déchets est un enjeu majeur. Pensez-vous que les collectivités marocaines  ont un périmètre d’action suffisant en matière de prévention ?
     
    Gérard Prenant : La quantité des déchets produits dépend directement du mode de consommation des citoyens, et sur ce point les collectivités ont peu de moyens d’action. En revanche, il est de leur responsabilité de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que les déchets produits soient collectés, traités et valorisés correctement. Pour mener à bien ces missions, il faut reconnaître que la plupart des communes manquent des savoirs faire nécessaires à  l’élaboration de stratégies à long terme et des compétences technique pour concevoir les cahiers des charges adaptés et innovants, et suivre le travail des opérateurs.
     Par exemple, l’un des problèmes de la collecte au Maroc est la capacité de réception des déchets dans des bacs plastiques (ou containers) qui sont mis sur la voie publique. Ces bacs sont détériorés, volés, cassés, sans que les collectivités mettre en œuvre les moyens nécessaires pour les protéger. Sans bacs, la collecte avec les bennes à ordure (B.O.M.) est impossible. Un bac dure en Europe 5 ans. Au Maroc, nous devons remplacer quasiment tous les ans notre parc de bacs, ce qui représente une charge financière très importante. A titre d’exemple, dans la zone de collecte de Pizzorno à Casablanca, nous avons besoin de 2.000 bacs de 660 litres qui coûtent pièce 1.500 Dh, soit 3 millions de Dh sont dépensés inutilement chaque année. 
    Et bien, malgré tous ces problèmes, les cahiers des charges des communes continuent a demander une collecte par bacs sur la voie public, alors qu’il existe d’autres solutions comme les bacs ECO DI qui sont des bacs métalliques de grande capacité (que nous avons mis en place à Casablanca, de notre propre chef, sans que se soit mentionné dans notre convention) ou une dotation de bacs pour chaque immeuble ou villa, mis sous la responsabilité du gardien. Il faudrait que les communes apprennent à plus et mieux travailler avec les opérateurs pour qu’ensemble nous puissions trouver les bonnes solutions techniques, plutôt que d’être dans une relation conflictuelle.
     
     
    Infomédiaire : Aux 8e Rencontres Internationales de la Diversité, Pizzorno Maroc a gagné le premier Trophée Marocain RH de la Diversité. Quelle est votre stratégie de gestion des ressources humaines ?
     
    Gérard Prenant : Je suis très fier que le Groupe Pizzorno ai remporté ce prix car il récompense tous les efforts que nous avons fait en matière sociale au Maroc. Nous avons travaillé sur 2 axes :
    – Premièrement, nous nous sommes fixé l’objectif de répondre scrupuleusement à toutes nos obligations légales. Ca parait simple, mais quand vous épluchez le code du travail, ce n’est pas si facile que ça. C’est clair que depuis que nous sommes au Maroc, tous nos salariés sont déclarés. C’est la base. Mais le code du travail prévoit beaucoup d’autres choses que nous avons mises en place. Par exemple, les élections des représentants du personnel, des Comités d’Entreprise dans toutes les exploitations qui se réunissent au moins une fois tous les 6 mois, idem pour les comités Hygiène et Sécurité, un règlement intérieur, accès à un médecin du travail dans chaque exploitation, les vaccinations, les vêtements de protection, etc… Ce socle légal nous a permis de modifier profondément nos relations avec les syndicats, qui, ayant moins de prise pour leurs revendications « de base », sont devenu plus enclin à devenir véritablement des partenaires de la société dans une dynamique « gagnant gagnant ».
    – Deuxièmement, nous voulons changer la culture de nos salariés. Une société, ce n’est pas fait que « pour en profiter » comme un certain nombre de salariés « qui ont la chance d’avoir un salaire », peuvent se l’imaginer, il faut que chaque salarié apporte une valeur ajouté, pour un montant supérieur à son salaire. Nous voulons développer des relations de « respect mutuel » : la société respecte les salariés, mais les salariés doivent respecter la société, c’est à dire faire correctement son travail, respecter la hiérarchie et les consignes qui sont données, le temps de travail, les moyens mis à sa disposition, et évidemment être loyal et de ne pas « détourner » ce qui appartiens à la société. Pour illustrer concrètement ce respect de la part de la société, nous voulons faciliter la vie de nos salariés pour qu’ils se sentent bien… Dans ce cadre, nous sommes en phase finale pour négocier avec AXA Maroc des produits d’avance sur salaire, de crédit à la consommation, d’épargne « affectée », de mutuelle ou de retraite complémentaire individualisée, etc. D’autre part, nous avons créé des œuvres sociales et des systèmes de promotion interne pour permettre l’évolution sociale de nos salariés. Enfin, nous sommes en train de tester une expérience de « jardins ouvrier » en mettant à la disposition de certains salariés des espaces de culture, avec les moyens nécessaire (eau, graines, formation à l’agroécologie) pour qu’ils puissent se créer des revenus complémentaires directement liés à leur travail. On ne triche pas avec la nature…
     
    Infomédiaire : Quels sont vos plans de formation au sein de  Pizzorno Maroc ?
     
    Gérard Prenant : Nous avons un plan de formation interne pour former progressivement tous nos salariés, en commençant par les balayeurs (balayer, c’est un vrai métier), les ripeurs et les surveillants. Pour les autres catégories de cadre et assimilés, nous avons un plan annuel de formation d’environ 750.000 Dh.
     
     
    Infomédiaire : Quelles sont les particularités de Pizzorno Maroc ?
     
    Gérard Prenant : Nous travaillons au Maroc dans les fondamentaux du Groupe, c'est-à-dire être une entreprise offrant des prestations de qualité, dans le respect de ses clients et des ses salariés. Nous sommes donc très orientés sur la qualité de nos prestations. Par exemple, en collecte, alors que nous n’avons cette obligation dans aucune de nos conventions, tous nos camions sont équipés de système de géo-localisation qui nous permet de savoir en temps réel où sont et que font nos camions, et de transmettre ces informations à nos clients. Cette géo-localisation nous permet de « penduler »  nos tournées, pour que les citoyens prennent l’habitude d’une collecte très régulière, pour qu’ils sortent les déchets en temps voulu, ce qui évite des amoncellements de déchets sortis à n’importe quelle heure, faute de connaitre l’heure de passage des BOM.
     
    Infomédiaire : Pouvez-vous nous dévoiler votre  plan de développement et d’innovation afin d’optimiser la collecte de déchets ?
     
    Gérard Prenant : L’innovation dans la collecte des déchets, nous en avons parlé : nouvelle approche de la conteneurisation, régularité des tournées avec la géo-localisation, etc. Les secteurs dans lesquels nous sommes également très innovants, c’est dans ceux du traitement et la valorisation. Par exemple, pour la valorisation, nous mettons en place un modèle technique très innovant au CET d’Oum Azza (qui est le plus important Centre d’Enfouissement Technique du Maroc), et qui traite les déchets notamment de Rabat, Salé et Témara. Notre objectif est de valoriser plus de 50 % des 700.000 tonnes de déchets ménagers que nous recevons par an, et ce dès la fin de l’année prochaine. Oum Azza est actuellement le seul CET du Maroc qui possède un centre de tri. Ce centre de tri nous permet de séparer certaine matière, pour organiser des filières de valorisation autour de 3 axes principaux :
    – Les déchets organiques qui seront compostés et/ou méthanisés. Pour cette filière de méthanisation, le CET d’Oum Azza est le projet pilote pour le programme des MDP (Mécanisme de Développement Propre) élaboré par le FEC, en partenariat avec la Banque Mondiale, dans la filière déchet ménager au Maroc. Ce projet va nous permettre de bénéficier des fameux « Crédit Carbone », même si les cours se sont effondrés ces derniers temps.
    – La valorisation matière : nous avons travaillé avec les anciens trieurs informels d’Akreuch pour les organiser en coopérative. Cette coopérative assure le tri des matières qui passent sur les tables de tri (PET, PEHD, métaux ferreux et non ferreux, etc.). Actuellement, avec 150 trieurs, la coopérative réalise un chiffre d’affaire annuel d’environ 6 M Dh.
    – Les déchets ultimes. Ces déchets ont un pouvoir calorifique qui intéresse les cimentiers pour les bruler dans les cimenteries. Le problème, c’est que ces déchets étant très humides, il faut trouver un moyen industriel et à faible coût pour les sécher. Nous avons signé un partenariat avec un cimentier au Maroc qui détient une technologie de bio-séchage, qui va lui permettre de produire du « RDF » ou combustible de substitution à partir de nos déchets ultimes.
     
     
    Infomédiaire : Pouvez-vous nous déterminer les coûts de traitement et de valorisation des déchets au Maroc ?
     
    Gérard Prenant : Les coûts de traitement des déchets au Maroc facturés par les opérateurs sont très faibles. En Europe, le coût moyen de traitement est de 80 € / tonne. Au Maroc, c’est 10 fois moins, pour des services équivalents : casiers étanchés, traitement des lixiviats par osmose inverse, traitement anti-odeurs, gestion du centre de tri, etc. Le problème, c’est que nos charges au Maroc ne sont pas 1 / 10ème de celles en Europe. La masse salariale, c’est 25 % du coût en Europe, pas 1/10ème, le gaz oil c’est 50 %, les travaux c’est 50 %, les camions et les engins coutent plus cher au Maroc qu’en Europe, etc. Nous avons donc un gros problème d’équilibre financier. Il ne faut pas espérer que les opérateurs pourront augmenter significativement les prix facturés aux communes qui supportent déjà difficilement les prix actuels. Pour nous, la solution est d’élaborer un nouveau modèle économique de traitement des déchets au Maroc à partir de la valorisation. C’est ce que nous avons fait et nous sommes sur le point d’y parvenir. Mais attention : il ne faut pas croire que la valorisation va diminuer le coût actuel de traitement comme certaines communes commence à l’imaginer, car la mise en place des filières de valorisation vont nécessiter de nouveaux investissements et charges de fonctionnement que nous allons devoir assumer. Les revenus de la valorisation pourront au mieux maintenir les prix de traitement facturés aux communes au niveau actuel. Sinon, sans valorisation, nous seront obligé d’augmenter nos prix pour cause de déséquilibre financier.
     
    Infomédiaire : Quelles perspectives pour le secteur des déchets au Maroc ?
     
    Gérard Prenant : Nous ne sommes pas très optimistes sur les perspectives à cours et moyens terme du secteur, et ce pour au moins trois raisons :
    – Les arriérés de paiement colossaux que les communes ont accumulé vis-à-vis du secteur. Pour le Groupe Pizzorno, les communes nous doivent l’équivalent de plus d’un an de chiffre d’affaire. On arrive souvent à ce paradoxe que les communes nous demandes de respecter nos obligations, alors qu’elles mêmes ne respectent les leurs (nous payer à temps) et pire, c’est que les retards importants de paiement nous retirent nos moyens financiers nécessaires pour le respect de nos obligations. Les communes nous ont mis dans un véritable cercle vicieux, alors qu’il faudrait être dans un cercle vertueux.
    – L’attitude des communes : les communes cherchent par tous moyens de diminuer le coût de nos prestations au travers l’application de pénalités, la non valorisation de certaines prestations, l’augmentation anormale de la masse salariale des agents communaux mis à notre disposition, etc. Ces attitudes nous font perdre beaucoup de temps et d’argent, et créent un climat de défiance qui va à l’encontre de la qualité du service à laquelle les citoyens sont en droit d’attendre. Cette attitude des communes fait planer en permanence un doute sur la rentabilité des nos investissements, alors que pour investir, il faut le faire dans un contexte qui permet une prévisibilité importante des retours sur investissement.
    – Enfin, nous sommes inquiets lorsque nous entendons parler de la « préférence nationale » alors que nous le seul élément qui n’est pas marocain chez nous c’est l’origine de nos capitaux, ou lorsque certaine communes évoquent la possibilité de confier leur propreté à des SDL (Société de Développement locale) alors que toutes les expériences de sociétés mixtes public / privé pour traiter la propreté des villes, que se soit en Europe ou au Maghreb, ont échouées.
    Face à ce contexte incertain, le Groupe Pizzorno a décidé de limiter son développement au Maroc, et de répondre à peu d’appel d’offre, pour être très sélectif avec les communes avec lesquelles nous souhaitons continuer à travailler.