Hicham Lahlou, Designer marocain

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    Infomediaire : Hicham Lahlou, vous êtes le précurseur du design Marocain, pouvez-vous partager avec nous votre parcours…vos débuts dans le design Global ?
     
    Hicham Lahlou : On me cite souvent comme le fer de lance du design contemporain au Maroc depuis de nombreuses années. Ce parcours de designer a débuté dans les années 90, le design ne représentait pas grand-chose à ce moment là au Maroc. Les débuts ont été plutôt difficiles car il fallait tout défricher, expliquer, se faire entendre et comprendre… Et puis il a fallu se battre chaque jour pour en arriver là. De belles réalisations qui ont marqué la scène du design, des succès à grande échelle, des déceptions aussi, des expositions, des idées stratégiques et aussi des prises de positions m’ont permis de me forger un nom dans ce métier et de marquer les esprits. Je suis devenu une figure emblématique du design au Maroc, sur le continent Africain et dans le Monde Arabe, connu aussi dans certains pays à l’international où je côtoie les grandes signatures du design mondial. J’ai la chance de signer des collections pour de prestigieuses marques internationales. 
     
    A la fois designer, architecte d’intérieur, artiste et plasticien, je vois dans le design un moyen pour défendre des valeurs de progrès et entreprendre des actions visant à promouvoir les valeurs du design et de la création en général. Je cite souvent des propos ou exemples dans mes conférences tels que « le design n’est pas une finalité, mais un moyen » ou encore « la fonction dicte l’esthétique », l’ancien président d’IBM Watson qui disait « Good design, Good Business » ou feu Steve Jobs qui avait nommé  un designer vice-président d’Apple …. 
     
    Je n’ai pas vraiment de limites dans le design au Maroc et ailleurs. Mobilier, objets, équipement urbain, chartes graphiques, concept stores, hôtels, restaurants, voitures, bouteilles, montres… et je continue à étendre mon champ d’action. Après avoir fondé la Femade en 2009, la Fédération Marocaine du Design et du Design Industriel au Maroc, qui a permis de faire reconnaître le design au niveau de l’Etat, je lance aujourd’hui Africa Design Awards, une plateforme du design Africain, véritable creuset où les designers du continent mais également de pays émergents pourront exprimer, faire connaître et mettre en exergue tout leur talent et créativité. Africa Design Awards révèlera, à partir du Maroc, les meilleurs talents du design dans plusieurs catégories à l’instar des plus grands prix de design mondiaux. Le projet englobe également Africa Design Week, un événement de taille qui sera développé en partenariat avec de grands noms de l’événement et de la promotion artistique. Avec cette nouvelle initiative ambitieuse, j’entends positionner le Maroc et l’Afrique au cœur de la scène mondiale du design, une stratégie qui vise à créer l’un des plus grands réseaux de design émergent, tous pays et toutes catégories confondues. 
     
     
    Infomediaire : Comment voyez-vous le marché du design au Maroc ?
     
    Hicham Lahlou :C’est un marché émergent et surtout encore destiné à une élite. Ce marché doit s’ouvrir. Je pense qu’il faut que le design se démocratise encore plus, il en faut pour tous les goûts et pour tous les budgets. Il existe au Maroc, en particulier dans le mobilier haut de gamme et l’équipement de la maison, de très belles marques de design, en particulier italiennes et françaises. Ces marques sont des éditeurs, généralement des industriels ou de grandes maisons manufacturières, qui créent et produisent à la fois et qui parviennent à développer pour le monde entier des collections originales et innovantes grâce à leur collaboration fructueuse avec des designers sélectionnés pour leur talent et leur renommée. 
     
    Ce marché de l’édition n’existe pas encore au Maroc bien qu’il y ait matière à faire en ce domaine. Mais cela exige énormément d’ambition, de vision à long terme et à l’international, de connaissance du domaine, de stratégie et surtout de maîtrise industrielle. Nous avons très peu d’industries capables de produire des objets ou produits divers de qualité avec une vision design, c’est dommage. 
     
    Toutefois, notre pays porte en lui des visionnaires et des managers qui ont à cœur d’innover, de ne pas tomber dans la facilité de « copier le voisin » mais plutôt d’apporter de la valeur ajoutée sur le long terme et de penser productivité et pas seulement rentabilité….
     
    Je peux citer des entreprises qui adoptent peu à peu une stratégie orientée design. Le projet du design de la bouteille « Nature » de la marque Ain Soltane dans son intégralité est une Hicham Lahlou : démarche complètement nouvelle et « révolutionnaire » au Maroc car il ne s’agit pas seulement de l’habillage de la bouteille comme l’a initié Evian mais il s’agit du design du produit dans son intégralité, process industriel 100 % marocain. Mon agence 1852 &co by Hicham Lahlou Designer (www.1852andco.com / www.hichamlahlou.com) a été chargée de penser le projet de a à z… de la définition du concept, aux premières esquisses, aux premiers prototypes, discussions  avec les ingénieurs et techniciens marocains et l’équipe de la marque et Ynna Holding jusqu’à la validation de la forme finale du design de la bouteille, la fabrication des moules pour la production industrielle en série. C’est du 100% design et un projet industriel « made in Morocco » pour un produit final, une bouteille signée by Hicham Lahlou Designer, accessible au plus grand nombre et non une série limitée, d’où le côté démocratique et design car il s’adresse au plus grand nombre.
    Avec mon agence, j’ai mené dernièrement des projets 100% novateurs dans le développement de design au Maroc tels que le design de marque du Tramway de Rabat Salé (charte globale), celui du Mall Borj Fez, le développement de la charte graphique et le système signalétique global pour tout le réseau des autoroutes du royaume du Maroc… un projet à grande échelle dans le domaine du packaging pour AFG Investment Bank, des packagings « signés » de thés de différentes gammes et cibles qui seront vendus dans tout le pays… Mon agence est également spécialisée dans le design de concept stores avec des exemples comme Lavazza by Topclass Tendance (tout le réseau des boutiques), la boutique écrin conçue pour le traiteur Maymana, pâtissier très réputé à Rabat, des hôtels, boutiques, appartements et villas au Maroc et à l’étranger mais aussi en Afrique, Usa, Moyen Orient, Europe, Turquie etc..
     
    Dans le design de service, nous sommes concurrencés par les entreprises étrangères car les managers chez nous ont tendance à faire appel à des compétences venues d’ailleurs, soit par méconnaissance, soit par préjugé sur la nature des compétences marocaines. Quand une pme fait ses preuves en termes de qualité de travail, c’est dommage de ne pas en exploiter le potentiel. Bien que le marché existant soit important, je pense qu’il faut laisser de la place à tout le monde et laisser au moins la chance aux pme marocaines de s’exprimer et faire valoir leur talent dans ce domaine, et pourquoi pas d’en faire un jour des champions nationaux exportables. 
     
    Ceci pose un problème, car il y a une énorme contradiction au moment ou l’on parle de crise économique, de manque de liquidités en devises, de fuite de capitaux et encore plus de pme et tpe qui souffrent de manque de visibilité et de stagnation voire de régression économique.
     
    Dans le design, et pour élargir encore plus le champ des opportunités en matière de marchés, il faut savoir qu’il y a une très grande importance apportée au droit d’auteur, un droit qui confère au designer ou créateur une reconnaissance inaliénable et à vie et qui lui permet notamment de percevoir des royalties, c'est-à-dire un pourcentage perçu sur les ventes en rétribution de la cession des droits de reproduction de l’œuvre ou du projet qu’il aura créé. Ceci n’existe pas encore au Maroc et puis il y a peu de cabinets d’avocats spécialisés dans notre pays, or, cela requiert des compétences pointues. Il faut défendre les professionnels du design et il y a de très nombreux vides juridiques en la matière. 
     
    Infomediaire : A quel degré peut-on considérer que l’artisanat marocain est bien présent dans vos créations ?
     
    Hicham Lahlou : L’artisanat permet de trouver une certaine inspiration dans le design mais il ne faut pas en abuser. Certaines de mes créations sont liées à l’artisanat, elles peuvent tantôt s’en inspirer tantôt en reprendre un détail qui sera utilisé de manière détournée. Mais il y a tant d’autres sources d’inspirations qu’il serait dommage de rattacher design et artisanat comme deux entités indivisibles et exclusives. Pour moi le design doit aussi rimer avec musique, architecture, écriture, paysages… Et je pense aussi que l’artisanat au Maroc doit évoluer. J’ai une vision plutôt politique de la chose. Déjà, les conditions de travail des artisans ne peuvent pas perdurer en l’état, comment voulez-vous faire progresser un secteur sans aucun moyen, sans un minimum d’investissement qui leur permettrait d’utiliser de nouvelles techniques pourquoi pas semi artisanales/semi industrielles pour pouvoir accéder à des marchés plus larges et enfin développer leur talent ? En tant que designer, j’ai créé des modèles dont j’ai exceptionnellement cédé les droits pour que les artisans avec qui j’ai travaillé puissent envisager de nouvelles possibilités. En tant que designer, c’est ce que je peux apporter à savoir mon talent de créateur mais pour ce qui est de l’environnement de travail, de l’outil de production, du label qualité, du respect des modèles et du cahier des charges, ainsi que du réseau de vente et de la création d’une véritable chaîne de valeurs, je crois qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Pour moi, l’artisanat ne doit pas être considéré comme une activité pour touristes, c’est terriblement réducteur, et avoir créé au Maroc un Ministère qui regroupe tourisme et artisanat en dit long. C’est une erreur regrettable selon moi car le pays s’est privé d’un développement important dans un domaine clé et noble. 
     
     Infomediaire : Vous avez été choisi pour figurer dans le livre «  In the Arab World » aux cotés de grands noms comme Jean Nouvel, Ron Arad ou encore Andree Putman, vous avez également fait partie du classement des designers et innovateurs les plus influents du continent africain, notamment  par le magazine « Afrique Business Méditerranée » fin 2012 et en août 2013, est-ce une réelle reconnaissance du design et des designers marocains qu’on peut sentir  à travers ces nominations ?
     
    Hicham Lahlou : Je suis un designer qui s’est fait remarquer non seulement par un discours accessible, une vision et un réel engagement mais aussi et avant tout grâce à des créations qui ont marqué la scène du design international par leur originalité. Quand, par exemple, ma baignoire « Aquamar » que j’ai créée pour la marque Aquamass a été élue parmi les 1000 objets cultes de la planète il y a 2 ans par le magazine américain Architectural Digest, ce n’est pas « Hicham Lahlou » qui a été élu mais l’objet en lui-même dans toute son universalité. C’est pourquoi je dis toujours qu’en tant qu’artiste, on abolit frontières et la notion de nationalité est souvent secondaire, même si je suis toujours ravi de bousculer les codes et d’arborer avec fierté les couleurs du Maroc, en particulier lors de mes conférences. 
     
    Fin 2012 j’ai été classé parmi les leaders globaux du continent africain regroupant tous les domaines et même les grands leaders, et en aout 2013 parmi les 15 innovateurs du continent africain, sans oublier en 2010 où j’ai été invité par Qatar Foundation après une sélection mondiale comme VIP JURY dans le programme STARS OF SCIENCE Session 2 diffusé dans plus de 25 pays dans le monde (toujours visible sur leur site www.starsofscience.com dans les archives), j’ai aussi été élu deux années consécutives comme designer industriel de l’année au niveau mondial par le site web EGO DESIGN au Canada dans le cadre des années internationales du design social et écologique… Dernièrement la Fondation CDG m’a permis de présenter une très belle exposition, PLAY DESIGN BY HICHAM LAHLOU  dans la galerie du groupe CDG à Rabat, première du genre et qui a rencontré un vif succès avec l’édition d’un livre de 264 pages en français et en anglais imprimé au Maroc avec le soutien de la fondation… L’une des reconnaissances les plus notables est celle des marques internationales pour lesquelles je signe des projets ou collections. Je suis actuellement en train de développer des collections pour de très grands éditeurs tels que : Serralunga, Ecart International, Nodus Rug, Brisach, Airdiem, Fiat avec la série limitée FIG by Hicham Lahlou à l’instar de la Fiat Gucci etc… 
     
    Et puis vous savez, je suis un outsider, bien que très souvent en voyage dans des villes comme Paris, Bruxelles, Londres, Hong Kong, Miami etc qui me permettent de rester « connecté », je suis pour l’instant toujours basé à Casablanca et d’un point de vue géographique, ça semble incroyable pour bon nombre de gens dans ce métier. Ce qui leur semble incroyable aussi c’est que je sois arrivé à ce niveau de notoriété tout seul, sans rien ne devoir à personne, en assurant ma propre promo, à mes frais et sans le soutien officiel de mon pays et sans être invité parmi les délégations marocaines, même à ce niveau de parcours. En fait, je pense que le Design n’est pas considéré comme quelque chose d’important au Maroc, tout simplement parce que les gens ne voient pas les possibilités de développement et toutes les implications que le design (je parle du design professionnel, de design stratégique, de design de marque, de design produit….) peut engendrer surtout pour une économie comme la notre qui pourrait facilement gagner en valeur ajoutée.