Yasmina Baddou, Ministre de la santé

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    Infomédiaire : Les résultats de l’étude sur la corruption dans le secteur de la santé ont montré que ce phénomène est largement répandu dans les établissements hospitaliers publics.  Quelles sont les mesures mises en place par le ministère pour lutter contre ce fléau ?
     
    Yasmina Baddou : Cette étude réalisée par l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC) dans le cadre de la stratégie que nous déployons pour lutter contre ce fléau, a permis de mieux appréhender les contraintes et les dysfonctionnements auxquels nous faisons face tous les jours.  
     
    Le Ministère de la Santé mène ces dernières années de nombreuses actions en vue de la moralisation du secteur. Nous travaillons avec détermination sur trois fronts : la gouvernance et la prévention, l’accès à l’information et l’amélioration de la qualité des services.
     
    Plusieurs mesures concrètes ont été prises au sein des hôpitaux publics : 
    – Création d’unités d’accueil et d’orientation des malades ; 
    – Affichage des tarifs des prestations hospitalières et de la liste des médicaments disponibles à l’hôpital ; 
    – Stricte interdiction de la vente aux malades hospitalisés de médicaments et fongibles disponibles au niveau de la pharmacie du centre hospitalier ; 
    – Introduction de l’outil informatique dans la gestion des prises en charge au niveau des hôpitaux (rendez-vous, hospitalisation, facturation) ; 
    – Traitement des réclamations et mise à disposition des usagers dans tous les hôpitaux de boites de doléances destinées à recevoir les plaintes et suggestions des citoyens ;
    – Convention avec l’Instance centrale de prévention de la corruption (ICPC) pour le partenariat et la lutte contre la corruption et collaboration avec de nombreuses ONG.
     
    Une autre mesure phare est la création d’un numéro spécial 0801005353 permettant aux citoyens de dénoncer et de signaler les tentatives de corruption en milieu hospitalier et les différents problèmes rencontrés lors de leur prise en charge.  Toutes ces mesures ont pour objectif de créer à terme un climat de confiance et de transparence, seul moyen d’endiguer ce phénomène.
     
     
    Infomédiaire : Le régime d’assistance médicale aux économiquement démunis  (Ramed) présente certaines contraintes, notamment sur les critères d’éligibilité. Comment envisagez-vous régler ce problème?
     
    Yasmina Baddou : La mise en œuvre du RAMED a eu lieu progressivement. L’expérience pilote dans la région de Tadla-Azilal a permis de préparer dans les meilleures conditions la généralisation en cours à l’ensemble du pays. 
     
    Les résultats de l’étude d’évaluation du RAMED au niveau de la région Tadla-Azilal, notamment sur la question des critères d’éligibilité, nous ont permis de prendre un certain nombre de mesures qui ont abouti à la modification du décret N°02-177.08 portant mise en œuvre du RAMED et adaptation et simplification du formulaire des personnes ayant droit de bénéficier du RAMED. 
     
    Le Ministère de la Santé a pris plusieurs mesures pour éviter des dysfonctionnements :
    – Elaboration d’un manuel de mise en œuvre du RAMED ;
    – Mise en place de deux modules de formation destinés au personnel chargé de l’identification des personnes éligibles, au personnel de soins et aux usagers des établissements de soins ;
    – Adaptation du système d’information ;
    – Stratégie de communication pour sensibiliser et informer les citoyens autour de ce régime. 
     
    La généralisation du RAMED va permettre de compléter l’architecture du régime de couverture médicale. Le nombre des bénéficiaires de ce régime est estimé à 8,5 millions de personnes. L’assistance médicale permettra de couvrir les 41 maladies chroniques et/ou lourdes retenues dans le panier de l’assurance maladie obligatoire, les soins ambulatoires y afférents ainsi que les médicaments. En outre, ce régime aura le bénéfice de remédier aux nombreux dysfonctionnements caractérisant le système actuel de prise en charge des indigents, notamment l’octroi abusif du certificat d’indigence et le respect de la filière de soins. 
     
    Infomédiaire : Après le problème du Mediator, avez-vous pensé à procéder à une réforme radicale du système de pharmacovigilance au Maroc? Qu’en est-il des conséquences engendrées par ce médicament au Maroc ?
     
    Yasmina Baddou : Dans le cadre de la veille, de la vigilance sanitaire et du suivi de la sécurité d’emploi des médicaments commercialisés sur le marché marocain, le Ministère de la Santé, à l’instar des autres autorités sanitaires internationales, a procédé en décembre 2009 à l’évaluation du rapport bénéfice /risque de la spécialité pharmaceutique à base du principe actif Benfluorex, commercialisée sous la dénomination MEDIATOR® et a décidé du retrait immédiat de l’autorisation de mise sur le marché de la seule spécialité pharmaceutique commercialisée au Maroc «MEDIATOR®» de l’établissement pharmaceutique industriel Servier et a ordonné le rappel de tous les lots disponibles de cette spécialité sur le marché national. A ce titre, le Médiator n’était plus commercialisé sur le marché national depuis décembre 2009.
     
    La décision de retrait a été instaurée après consultation de la Commission Nationale Consultative de Pharmaco-Toxico-Réacto-Matériovigilance et des Essais Thérapeutiques, et suite au signalement  au niveau international du risque avéré de maladie cardiaque de type valvulopathie chez des personnes traitées par cette spécialité pharmaceutique, et du jugement défavorable de la balance bénéfice-risque  de ladite spécialité dans l’indication validée au niveau de l’Autorisation de mise sur marché (AMM) « traitement adjuvant au régime adapté chez les diabétiques en surpoids ».
     
    Parallèlement à ces mesures, une large campagne d’information a été menée auprès des professionnels de la santé, dont les prescripteurs des secteurs public et privé.
     
    Il est primordial de savoir que le système de pharmacovigilance dans notre pays répond aux impératifs et aux exigences préconisées au niveau international. Ainsi, et dans le cadre de la sécurité d’emploi des médicaments commercialisés sur le marché marocain et dans un souci d’offrir des médicaments de qualité et de garantir l’innocuité de ces médicaments, les retraits d’AMM a concerné 82 spécialités en 2008, 280 retraits en 2009 contre 75 en 2010.
     
    Infomédiaire : Les pharmaciens ont exprimé leur rejet de la proposition du ministère de la santé concernant la réforme des structures des prix des médicaments. Allez-vous prendre en considération leurs revendications ?
     
    Yasmina Baddou : Les prix des médicaments étaient anormalement élevés dans notre pays. Le benchmark international que nous avons effectué nous conforte dans ce constat.
     
    La politique du médicament menée par le Ministère de la Santé a permis de mener des actions visant à faire baisser le prix des médicaments. Ce processus a abouti à une première baisse historique durant les quatre premiers mois de l’année 2010 qui a touché plus de 315 médicaments. Les baisses des prix sont considérables allant jusqu’à 87%. Elles ont concerné des médicaments essentiels, notamment les anticancéreux, les médicaments de l’hépatite, les médicaments cardiovasculaires, les insulines, les anti-infectieux, les antibiotiques, etc.  D’autres baisses sont à l’étude et profiteront à d’autres catégories de médicaments et ce dans le but de soulager à la fois les patients et les organismes gestionnaires de l’assurance maladie. Le ministère de la santé se focalise actuellement sur l’utilisation de procédures claires et adaptées pour la fixation des prix et qui prennent en compte les médicaments génériques.
     
    Nous prenons naturellement en considération les besoins des pharmaciens. Ainsi, l’élaboration du nouveau projet de texte encadrant les prix des médicaments a fait l’objet de consultations avec les différents intervenants dans le domaine du médicament, à savoir la fédération des syndicats des pharmaciens d’officine mais aussi l’Association marocaine de l’industrie pharmaceutique (AMIP), l’association Maroc, Innovation et Santé (MIS) et la Caisse nationale des organismes de prévention sociale (CNOPS). Dans ce projet, la concertation avec les différents partenaires est de rigueur avec comme objectif final l’amélioration de l’accessibilité aux médicaments des citoyens. 
     
    Infomédiaire : Quel est le bilan du ministère de la sante concernant les  inspections effectuées dans les cliniques privées pour  vérifier la conformité aux normes sanitaires et de sécurité ?
     
    Yasmina Baddou : Dans le cadre de son plan d’action 2008-2012, le Ministère de la Santé a engagé pour la première fois des missions d’inspections des cliniques privées à travers tout le territoire national sur la base d’un programme préétabli. L’objectif général étant d’assurer la sécurité des patients tout en évaluant le niveau de conformité des cliniques privées aux textes législatifs et réglementaires en vigueur et les accompagner éventuellement pour leur mise à niveau. L’inspection des cliniques est une disposition prévue par l’article 26 de la loi 10-94 relative à l’exercice de la médecine qui prévoit que « les cliniques sont soumises à des inspections périodiques sans préavis, effectuées par les représentants de l’administration compétente et du conseil régional de l’Ordre des médecins, chaque fois que cela est nécessaire et au moins une fois par an ».
     
    La démarche adoptée consiste à aller vers ces cliniques pour une première visite d’inspection. Lors de celle-ci, les inspecteurs des cliniques ont pu relever et consigner dans un rapport la non-conformité et les irrégularités de certains établissements par rapport aux normes techniques des cliniques. Ces établissements ont été ensuite mis en demeure de se conformer aux obligations réglementaires en la matière. Une deuxième sortie d’inspection a été effectuée pour vérifier si ces établissements ont réalisé les travaux nécessaires pour leur mise à niveau. 
     
    Si la majorité des cliniques inspectées ont étés attentives aux remarques et observations des inspecteurs des cliniques et ont pu apporter les changements nécessaires pour la mise à niveau de leurs établissements, d’autres cliniques présentent des dysfonctionnements majeurs.
     
    Certaines cliniques ont procédé à des modifications physiques et d’extension d’activités importantes sans notification à l’administration, d’autres présentaient des dysfonctionnements au niveau des normes relatives à la radiologie ou ont répondu partiellement aux observations soulevées lors des inspections précédentes, et enfin un lot de cliniques présentait encore des dysfonctionnements graves pouvant constituer un danger pour la santé des patients.  C’est pour ces établissements là que la décision de fermeture a été proposée.
     
     
    Infomédiaire : Pouvez-vous nous présenter votre bilan d’actions après 4 ans à la tête du ministère de la Santé ?
     
    Yasmina Baddou : Les chantiers lancés dans le cadre de notre plan d’action 2008-2012 sont en cours d’achèvement et les chiffres témoignent des progrès réalisés. A titre d’exemple, je vous communique quelques chiffres relatifs à des programmes de santé.
     
    Le programme « Maternité sans risque » à travers la gratuité de l’accouchement a permis l’augmentation du taux de naissances en milieu surveillé à 75% et l’augmentation du taux d’accouchements par césarienne qui avoisine 7,5%, avec l’établissement de l’obligation de séjour de 48h après un accouchement par voie basse dans toutes les maisons d’accouchements et hôpitaux obstétriques. 
     
    Ainsi, la mortalité maternelle a été réduite de plus de 42%. En effet, le nombre des décès est passé de 227 pour 100.000 naissances vivantes en 2007 à moins de 132 décès pour 100.000 naissances vivantes en 2010. La mortalité infantile des moins de 5 ans a été réduite de 24% atteignant 37,9 pour 1000 en 2010 au lieu de 47 pour 1000 en 2007. 
    Ces chiffres vont s’améliorer davantage les prochaines années grâce à l’extension de la liste des vaccins de base avec l’ajout des vaccins contre le Rotavirus et le Pneumocoque. Le taux de vaccination quant à lui s’est nettement amélioré pour atteindre 95% en 2010.
     
    Dans le cadre des plans de santé spécifiques, le nombre des insuffisants rénaux pris en charge en 2010 a atteint 5500 patients, alors que leur nombre ne dépassait pas 2800 en 2007. Coté cancer, grâce à l’appui de l’Association Lalla Salma pour la lutte contre le cancer (ALSC), le nombre de prises en charge des personnes atteintes du cancer, avoisinait les 30.000 patients en 2010 contre 21.000 en 2007. Aussi il a été enregistré une augmentation du nombre des consultations et des tests cliniques relatifs au cancer dès la première année de notre plan d’action, passant de 11.480 consultations en 2007 à environ 55.267 consultations en 2008. Pour sa part, le nombre des diabétiques pris en charge est passé de 290.000 en 2007 à 410.000 en 2008 soit une augmentation de 41%, grâce à la gratuité de l’insuline dans les centres de santé. Le plan d’action de la prise en charge de l’hypertension artérielle à permis de prendre en charge de 225.000 patients hypertendus en 2010 contre 135.000 en 2009 grâce au programme national de prévention et de surveillance de l’hypertension. Dans un autre registre et non des moindres, le nombre de patients atteints de la cataracte pris en charge a presque quadruplé : 98.000 en 2010 contre 26.152 en 2007.
     
    Le monde rural a aussi bénéficié d’un plan spécifique et d’une attention particulière. Ce plan s’est caractérisé par l’augmentation du nombre d’établissements de santé dans le monde rural à 2741 établissements fonctionnels, grâce à l’ouverture de 366 nouveaux établissements pour les soins de santé de base sur la période 2008-2010. 2133 cadres médicaux et paramédicaux cadres ont été affectés au monde rural entre 2008 et 2011. L’effort consentit en terme de recrutement a été fortement applaudit ces dernières années. Ainsi, l’augmentation du nombre de cadres médicaux et paramédicaux recrutés s’est nettement amélioré passant ainsi de 700 en 2007 à 2000 cadres en 2011, soit une hausse de 186%.
    La carte sanitaire constitue, quant à elle, l’une des grandes réalisations de ces dernières années. Ce projet de loi cadre qui a vu le jour aura pour objectif de répondre aux besoins de santé de la population par une offre de soins efficace et de qualité, adaptée à l’ensemble des couches de la population et qui permettra de faire converger les efforts de tous, public et privé, pour pouvoir répondre convenablement aux attentes de la population.